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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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oublié sa canne. Au moment de sortir, il fouilla les poches de son veston de travail, prit le morceau de ficelle rouge ramassé chez Philomène Lacarelle et le rangea dans son portefeuille.
     
    Adeline Pitel se barricada dans le deux-pièces occupant la moitié du premier étage. La lumière était denrée rare, aussi s’accordait-elle le luxe de plusieurs chandeliers qu’elle allumait à toute heure et en toute saison. Elle y plantait des cierges fournis gracieusement par la cathédrale, le clergé survivrait. Ne devrait-il pas la complimenter d’employer ses loisirs à exalter le christianisme ?
    Elle fit brûler un fagot dans la cheminée et accommoda son repas qu’elle prenait de bonne heure afin de consacrer ses soirées au travail et à la lecture. Une escalope de veau et une généreuse portion de cardons au gratin cuits le matin et réchauffés au bain-marie furent englouties sur un coin de table. Elle repoussa son assiette et évalua la menue monnaie accumulée dans un bocal à confitures. Enchantée d’avoir si peu dépensé en une semaine, elle songea avec nostalgie aux cinquante centimes hebdomadaires distribués après la messe. N’était-elle pas trop prodigue ? Elle secoua la tête. Cela valait mieux que de dilapider sa cagnotte en revues de mode, à l’instar de son neveu Ferdinand. Elle lui avait pourtant inculqué le culte de l’économie, valeur suprême de l’existence terrestre. Quelle idiote elle avait été de se laisser attendrir par un orphelin de huit ans, à la mort de sa sœur Élisa ! Elle avait nourri l’enfant, elle l’avait gavé de choux et d’ambition sociale, tout cela pour qu’à quinze ans il choisisse d’entrer en apprentissage chez un savetier ! Il louait son échoppe à la veuve de son mentor, deux numéros plus haut, et, quand il ne martelait pas les talons des souliers ou ne les bourrait pas de peau de mouton, il approfondissait dans l’appartement mitoyen de celui de sa tante des ouvrages ayant trait à son métier ou à d’autres fadaises !
    Elle-même possédait une jolie bibliothèque héritée de ses parents et ne refusait pas d’y incorporer les dons du papetier de la rue d’Arcole que ses pratiques honoraient parfois de livres dépareillés, d’actes notariés sur vélin ou de textes en papier chiffon. Au moins cela ne coûtait rien, et avec de la chance et de la persévérance on y dénichait des merveilles. Elle sillonnait les quais pour compléter sa collection, mais attention, interdit de débourser plus que nécessaire.
    Ce soir, son beau galant ne viendrait pas.
    « Parfait, j’ai du pain sur la planche. »
    Elle plongea assiette et couverts dans une bassine d’eau savonneuse puis ordonna sur la nappe flacons d’encre, pinceaux, plumes d’oie, cartes vierges et un livre d’heures ancien orné d’exquises miniatures colorées dont elle allait s’inspirer. Elle ne bénirait jamais assez la Providence de s’être liée avec cette vieille folle de la rue Pierre-Lescot qui cherchait à la circonvenir pour qu’elle devienne membre de son club à la noix.
    « Les Croque-Fruits, tu parles d’un nom ! Elle peut se brosser, cette enquiquineuse ! »
    Elle se mit à rire.
    « Une enquiquineuse de première, soit, mais une enquiquineuse qui me prête des documents rares. Ce livre d’heures est un bijou. Ce soir, après ma course, je vais créer une œuvre inédite tirée de l’Évangile selon Matthieu :
    « … Et voici, un homme s’approcha, et dit à Jésus : Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle… ? »
    — Sûrement pas des confitures, marmonna-t-elle.
    Satisfaite de l’agencement de son matériel, elle passa son manteau, ajusta son châle sur ses épaules et s’engagea dans l’escalier.
     
    Il était plus raisonnable que la toilette de chez Rouf offerte par Mme Djina demeurât captive d’un tablier pendant la tâche qui s’annonçait ardue. Euphrosine affrontait sa provision de confitures où elle se figurait distinguer de petits yeux méchants qui lui reprochaient sa pusillanimité.
    — Sotte que je suis, c’est des morceaux de prunes. Allez, applique-toi, surtout aucun pâté, soigne tes pleins et tes déliés.
     
    Malaisé d’ajouter à l’encre violette Pour Micheline Ballu et de convertir en 8 le dernier chiffre de 1897 sur les étiquettes parant déjà des pots scellés d’une ficelle rouge. Elle en louchait. Quand elle eut terminé, fière de l’absence de ratures, elle

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