Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
Vom Netzwerk:
emballa chaque pot d’un papier à fleurs. Elle les casa dans un panier où elle ajouta les deux cadeaux destinés à son fils, achetés aux Grands Magasins du Louvre, ainsi que la loupe de son défunt Gabin et deux cadres argentés contenant les photos d’Arthur et de Daphné, œuvres de Victor. Enfin, elle traça, au dos d’un chromo : Joyeux anniversaire, mon minet, de la part de ta maman qui t’aime.
    En reniflant d’émotion, elle rangea ses paquets. Il n’était que temps, on tambourinait à la porte.
    — Qui c’est ? s’enquit-elle d’un ton méfiant.
    — La belle-famille, répondit une voix ironique.
    Elle introduisit Djina et Kenji qui entreposa la valise et les livres dans un coin.
    — Originale votre tenue, une soubrette en falbalas.
    Elle dénoua prestement les cordons de son tablier.
    — De quoi ai-je l’air ?
    Elle pirouetta devant Djina.
    — Magnifique. Vous avez maigri, ma parole !
    Euphrosine se garda de révéler qu’elle avait peiné sur de savantes retouches pour élargir l’ensemble.
    Kenji s’impatientait.
    — Ces dames consentent-elles à quitter le salon ?
    — Oh ! m’sieu Mori, j’ai un service à vous demander, déposer ces pots chez Mme Ballu qui nous accompagne.
    Kenji s’exécuta à contrecœur, les bagages lui avaient scié les lombes et voilà qu’il était contraint de soulever un poids encore plus lourd.
    — Que transportez-vous ? Des kilos de plume ou des kilos de plomb ?
    — J’m’en s’rais chargée, seulement entre mes varices et mes reins, c’est un calvaire.
    — Plaignez-vous, on s’apitoiera. Taisez-vous, on vous raillera.
    — Quel rapport avec mes rognons ?
    — Pas le moindre, ma chère, marmotta Kenji avec une grimace de douleur.
     
    La neige fondue et le froid avaient persisté tout l’après-midi. Une brume malsaine envahissait les ruelles avoisinant la rue Saint-Denis. Muni d’un litre de picrate, le père Mirette longea une procession de sans-logis agglutinés face à la vitrine illuminée du numéro 35. Un nom : F RADIN , se détachait en lettres colorées sur le verre dépoli de l’établissement. Pas d’invective, nulle exubérance. Ceux qui venaient là discutaient à mi-voix avant de franchir la porte à double battant. Quatre sous, tel était le prix à payer pour passer une nuit à l’abri et apaiser sa faim d’une soupe chaude. Ceux qui ne possédaient pas cette modique somme trouveraient un gîte sous les ponts, sur les fortifs ou les boulevards extérieurs, l’estomac dans les talons.
    Le père Mirette échangea un salut avec un jeune déshérité qui se tenait en retrait.
    — Tu viens te taper la cloche, Juju ? T’as tes quatre ronds ?
    — Non… j’me suis coltiné des cageots aux Halles mais je n’ai récolté que trois sous cinquante, j’crois bien que j’vais serrer mon ceinturon d’un cran.
    — Tiens, n’en v’là deux, tu boiras à ma santé.
    — T’es chic, Mirette, j’te l’revaudrai.
    Le père Mirette se dirigea vers la rue Brisemiche. Il avait élu domicile dans l’une des caves d’un immeuble voué à la démolition. Il se réfugia sous le porche pour allumer une chandelle et perçut un léger grattement.
    — Merde, un intrus ? Manquerait plus qu’ça !
    Indécis, il piétinait dans la gadoue quand il fut empoigné par le col de sa veste, un objet pointu pesa sur son échine.
    — Bonsoir, Mirette, je suis derrière toi. Cesse de te tortiller comme un asticot, tu es déjà aveugle, ce serait dommage que tu deviennes muet.
    — Vous vous gourez de jobard, je suis à sec !
    — Tu vas me tirer les larmes, Mirette.
    La voix murmurait à son oreille d’un débit égal dénué d’intonation.
    — Sois attentif, Mirette. Tu ne me connais pas, mais moi je te connais. Je t’observe, je ne te quitte pas des yeux. Tu te souviens du 10 janvier ? C’est le jour où tu as vidé les troncs de Saint-Eustache. Entre nous, c’est très vilain de faire main basse sur les deniers du culte, tu devrais avoir honte ! Bon, à tout péché miséricorde, je t’absous. En fin de journée, as-tu remarqué quelqu’un qui sortait de chez Philomène Lacarelle ?
    — Non, souffla Mirette.
    — Le mensonge fait dîner mais ne fait pas souper, Mirette. Si j’enfonce ma lame, tu risques de jeûner définitivement.
    — Ben… Y a eu des allées et venues, pour sûr. Un type emmitouflé jusqu’aux oreilles a décampé de sa maison avec deux cabas, le soir où vous dites,

Weitere Kostenlose Bücher