Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
Vom Netzwerk:
j’ai pas vu sa trombine, et pis deux-trois jours plus tard une grosse bonne femme a jailli de chez la Philomène, elle avait le feu au popotin.
    — Une femme ? Qui ?
    — Une copine à la Philomène.
    — Tu sais où elle loge ?
    — Non, mais elles allaient parfois écluser une lichette chez Moraille , le mastroquet de la rue de Turbigo.
    — Tu es gentil avec moi, Mirette. Écoute bien. Tu vas probablement être interrogé par les flics, voilà ce que tu vas leur servir, apprends-le par cœur, c’est ton intérêt si tu veux continuer à jouir du bon air de la capitale.
    On lui chuchota des instructions. Puis, d’un coup, la pression entre ses omoplates s’évanouit. Mirette coula un œil de côté sans oser esquisser un mouvement. À la lisière de ses cils, il entrevit une paire de souliers bruns qui s’éloignaient rapidement vers la rue des Lombards. Il lui sembla sentir un galet froid coincé au fond de ses amygdales, son pouls battait le tambour. Les environs étaient déserts. Il s’obligea à respirer lentement. Il enflamma la mèche de sa chandelle, inspecta chaque recoin du couloir, descendit les marches en colimaçon et regarda partout dans la cave avant de se laisser tomber lourdement sur un amoncellement de chiffons qui lui tenait lieu de literie. Il pouvait maintenant s’adonner à des pensées futiles : ce qu’il allait manger, par exemple. Mais d’abord, déboucher le litron de rouge.
     
    Léonard et Pétronille Lippmann avaient fui l’Alsace et la Lorraine après la guerre de 70 parce que, à l’instar de nombreux compatriotes, ils refusaient d’obéir au Kaiser. Ils avaient ouvert leur Brasserie des bords du Rhin 1 sur le boulevard Saint-Germain. Bientôt, d’ex-membres du groupe des Hydropathes, des Hirsutes, ou des Décadents, dont Jean Moréas, Laurent Tailhade et Mounet-Sully, se mirent à fréquenter ce restaurant devenu assez vite le rendez-vous à bon marché de littérateurs dont le plus célèbre avait été Verlaine. Les peintres, les critiques, les journalistes ne dédaignaient pas de s’attabler derrière la belle façade d’acajou précédée d’une statue en bronze de Diderot, à son aise dans un confortable fauteuil, le bras sur un accoudoir. Quant aux quidams entrés par hasard boire un demi, ils ne résistaient pas longtemps aux quolibets lancés par les élites de la culture moderne.
    Joseph pénétra dans une salle meublée de banquettes de moleskine. Si Académie du Fantastique il y avait, comment allait-il en identifier les sociétaires ?
    Un garçon à chemise noire et long tablier blanc s’inclina devant lui.
    — Monsieur Pignot ? Vos amis vous attendent.
    Joseph prit son souffle et le suivit au fond de la brasserie.
    — Joyeux anniversaire ! clamèrent en chœur Victor, Tasha, Kenji, Djina, Euphrosine, Iris, Micheline Ballu, Raoul Pérot et Fulbert Bottier, verre levé.
    Interdit, Joseph demeura immobile.
    — Alors c’était vous ! Vous m’avez eu, murmura-t-il, plus ému qu’il ne l’eût voulu.
    — Tu auras tes cadeaux au dessert, mon minet, mais il faut que tu saches que c’est Iris qu’a tout organisé et qu’c’est m’sieu Mori qui régale. Assieds-toi à la place d’honneur.
    Les patrons, à qui, vu leur embonpoint, leur cuisine traditionnelle avait dû profiter, tinrent à le féliciter. Un garçon leur servit d’office de la bière mousseuse assortie de bretzels et énonça d’un ton sans réplique :
    — Choucroute garnie, vin d’Alsace et baba au rhum.
    — Eh ben ! Pour du léger, c’est du léger, la nuit sera mouvementée, marmonna Euphrosine.
    — Détrompez-vous, madame, le gewurztraminer est tellement fruité que ça glissera comme sur un toboggan ! expliqua le garçon.
    — Est-ce Alfred Jarry qui s’en va ? demanda Victor.
    — Exact, monsieur, il a son ardoise chez nous, la maison encourage les Lettres et les Arts.
    On trinqua. Kenji relata le séjour à Londres, Djina livra ses impressions. Micheline Ballu loua la générosité d’Euphrosine. La bière et le bonheur d’être le point de mire de l’assistance ranimaient le moral de Joseph qui nota que Fulbert Bottier paraissait soucieux.
    — Y a un truc qui vous tourneboule, parrain ?
    — Non, non, Je dois couver un rhume.
    Joseph connaissait bien le bonhomme, il savait que quand celui-ci tripotait nerveusement ses lunettes, il était en proie à un trouble plus profond qu’un rhume. Il n’insista pas, mais surprit les mimiques

Weitere Kostenlose Bücher