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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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le Pérot, j’orienterais la conversation de telle sorte qu’il serait complètement déboussolé et je le forcerais subtilement à cracher le morceau. »
    Il exhuma des gravures, des lithographies, des cartes de géographie, des images d’Épinal. Les seuls papiers dignes de couvrir les livres étaient marron ou verts. Devant l’ampleur des recherches, il allait renoncer quand il eut l’idée de fouiller le bahut.
    — Nom d’une pipe en bois !
    Il s’empara d’un mince volume protégé d’un papier tacheté de rouge et de bleu, enfoui sous une écharpe mitée. Un infime fragment de ficelle vermillon s’en échappa. Il inspecta l’ouvrage. À bien examiner les écritures et le support, il s’agissait de deux textes tracés par des mains différentes. Le premier sur vélin, rédigé en latin et en français. Du latin, très peu pour lui. Le second sur papier chiffon dont un feuillet avait été arraché. Un journal ? Mot après mot, il déchiffra péniblement la calligraphie tarabiscotée :
    … Margot Fichon a livré un secret merveilleux que je m’efforce de localiser. Si je n’y parviens pas, je soumets au discernement des initiés futurs certains éléments qui, je le souhaite, permettront d’achever la quête à laquelle j’ai consacré ma vie et…
    Frustré, Joseph demeura pensif.
    — En voilà un jargon ! Est-ce un rébus ? J’étudierai ça demain, parce que là…
    Le mélange bière, vin blanc, kummel s’avérait redoutable. Il s’allongea sur le canapé déglingué et plongea d’un coup dans un sommeil peuplé de visions incohérentes. La trame d’un prochain feuilleton émergeait vaguement d’un marécage de confitures où se débattait une commère, un livre dans chaque main.
    1 - En 1920, un Aveyronnais, Marcellin Cazes, rachète l’établissement. La brasserie Lippmann devient Lipp .

    2 - Journalistes qui s’approprient l’article d’un confrère en changeant par-ci par-là quelques termes au fil du texte.

    3 - Le Grand Mystère du Bow (1891).

    4 - De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts (1827).

Chapitre X
    Samedi 15 janvier
     
    Vouée au commerce de la faïence, de la porcelaine et du cristal, la rue de Paradis n’en abritait pas moins diverses autres boutiques. Parmi elles, la chapellerie féminine d’Annie Chevance proposait aux chalands deux vitrines contenant des grappes de modèles aux couleurs chatoyantes. Au Chapeau chic , telle en était l’enseigne, sur laquelle les lettres jaune vif surmontaient un feutre rose piqué de cerises.
    Le magasin recueillait les suffrages des artistes, des ingénues et des divettes qui, selon la coutume, lui accordaient leur visite les derniers jours de la semaine après avoir dévalisé les salons de couture.
    On traversait une pièce de dimensions réduites où deux femmes d’âge mûr étaient penchées sur les livres de comptes et se chargeaient de recevoir les clientes.
    Au bout d’un corridor si modeste qu’on ne s’y attardait guère s’encastrait, entre deux salons d’essayage, le bureau de la patronne, sobrement meublé d’une table jonchée de livres et de revues, d’une chaise et d’une armoire. C’était là qu’Annie Chevance avait réalisé son rêve de jeune apprentie : créer des couvre-chefs originaux et extravagants qui donnaient le ton sans pour autant céder à la vulgarité. Des années durant, elle s’était documentée, dès qu’elle en avait le loisir, dans les albums d’estampes que son budget parcimonieux lui permettait de chiner sur les quais.
    En avait-elle admiré, des costumes Henri III, Henri IV ou Louis XIII ! En avait-elle détaillé, des toiles de grands maîtres, de Rubens à Mme Vigée-Lebrun en passant par Gainsborough et Lawrence ! Les artistes contemporains ne l’intéressaient que médiocrement, aussi remarquait-on toujours une touche ancienne dans ses réussites les plus audacieuses.
    Elle était fille unique d’une brodeuse en chambre, veuve à vingt-deux ans, qui l’avait élevée seule et avait reporté sur elle ses ambitions déçues.
    — Tu seras une dame, je te le jure.
    Aucun destin ne paraissait plus digne d’envie à la jeune mère que celui de modiste. Issues de la moyenne bourgeoisie, ces travailleuses de l’aiguille se considéraient comme des aristocrates, au fait des usages mondains et plus cultivées que leurs consœurs de la mode.
    Secondant sa mère sans ménager sa tâche, Annie Chevance s’était appliquée à se

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