Les spectres de l'honneur
bannière aux lis. Une bouche large, sans dureté ni amertume et qui avait dû parfois souffler sur le soufre et ne jamais exclure quiconque du purgatoire terrestre, antichambre d’un paradis auquel, évidemment, il croyait dur comme fer. Tristan lui trouva l’aspect d’un preux qui ne doutait jamais de soi. Il y avait chez ce tonsuré une ardeur sommeillante ; elle semblait s’éveiller lorsqu’il considérait Hélie.
– Guérissez-le, mon père, dit Maguelonne. Nous prions, prions…
– Je conçois votre ferveur. Priez, certes, mais ne tombez pas dans l’excès… Je vous déconseille, dame Maguelonne, de vous persécuter en pensant que toute espèce de renoncement ou de sacrifice… je dis bien toute espèce, favorisera une guérison qui peut-être se fera d’elle-même dans trois ou quatre ans.
Tristan n’osa regarder son épouse.
« Bien dit », songea-t-il. « Ce clerc a-t-il deviné qu’elle jouit de se refuser à jouir ?… Certes, elle cède à mes envies, mais où sont passées nos plaisances d’antan ?… Ses gémissements, ses encore ? Elle baisse la tête ; elle joint les mains… »
Il croisa le regard d’Hervieu de Cubières et pensa qu’ils s’étaient compris. Il eût dû sans doute se porter au secours de Maguelonne ; il n’y était point enclin.
« Que faisons-nous ? C’est de nous que devrait naître l’espérance et non pas de cet homme qui est certes bon, mais qui nous regarde comme des… malades ! »
Son caractère eût voulu, exigé, qu’il se passât d’aide. Arc-bouté contre l’asthme dévastateur de son fils, il en était réduit, autant que Maguelonne, à tout espérer de ce prêtre qui lisait en leurs cœurs avec une aisance tranquille.
– Notre ami de Limoux nous a dit que vous pourriez peut-être guérir Hélie.
Tristan rageait : il était dépourvu de cette éloquence dont le clerc faisait un si grand usage.
– Moi, guérir ? s’étonna Hervieu de Cubières. Ce n’est pas parce que je l’ai posée sur quelques têtes fiévreuses que ma main en a éteint le feu… On a cru pouvoir vous rapporter certaines choses comme s’il s’était agi de miracles. Or, je n’ai fait que donner à quelques gens de passage une preuve de bienveillance. Ce n’était qu’un piètre tribut aux yeux de qui aime Vraiment… Je suis, comme vous, assuré que tous les témoignages d’affection ne valent pas une prière, une seule, dame Maguelonne. Mais il convient que celle-ci ait lieu un jour propice, en un lieu où peut-être elle sera exaucée soit par Notre-Dame, soit par Notre-Seigneur. Il faut également qu’elle soit dite avec la conviction qu’une fois pour toutes elle montera jusqu’au Ciel.
L’âme épurée du clerc sembla fondre dans sa voix qui devint plus vibrante et plus claire tandis qu’il regardait Hélie avec une attention à laquelle Tristan ne put fournir un nom.
– Quand votre fils, un beau jour, prendra son vol comme un gerfaut solide ; quand il entrera dans la pleine lumière de la vie, qui songera, je vous le demande, à cette éclosion vraiment miraculeuse ? Vous deux, ses parents ? Nenni ! Votre joie vous fera oublier les mauvais jours où vous avez entouré son nid de votre chaleur et de votre inquiétude. Le monde est plein des bruits d’ailes brisées au sortir de la jeunesse prime… Pour voler, il faut que votre fils s’allège par sa confiance en lui. Il faut que vous formuliez ensemble, vous, ses géniteurs, le vœu de le voir guéri. Ce vœu, il vous faut l’exprimer dans un lieu moins plat que notre pays de Langue d’Oc… Je songe à une montagne. Ainsi, la distance sera moins longue pour atteindre Celui qui règne sur le monde. Une montagne aussi haute que le Bugarach, mais une montagne sans diableries.
Tristan se surprit à trembler. Il éprouvait soudain une émotion sans mot, quelque chose qui échauffait sa poitrine et qui n’avait aucun sens. « La vie de mon enfant se nourrira de la mienne. » Il le savait depuis la naissance d’Hélie : au cheminement de son fils vers la maturité correspondrait une sorte d’immobilité, voire de régression, qu’il subirait comme un châtiment immérité. Car il était fait pour le mouvement, la liberté, la fureur davantage que pour l’amour. Il n’y aurait jamais plus pour lui d’aurores merveilleuses pour un esprit, un corps jamais inassouvi. Il y aurait des rêves accablants, des éveils fébriles dans des petits matins inquiets où,
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