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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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proche de lui, Maguelonne feindrait de dormir afin qu’il ne la touchât point. Il ne pouvait l’abandonner pour devenir le chevalier aventureux dont il avait imaginé les contours et les prouesses lors de sa jeunesse prime. D’ailleurs ni Paindorge ni Lebaudy ni Lemosquet ne le suivraient : ils s’étaient enracinés dans une terre qui n’était point la leur mais qui les avait acceptés. Ils commençaient à parler la langue d’oc dont ils avaient même attrapé l’accent.
    – Hélie est malade, sans doute, dit Maguelonne, parce que mon sang n’est pas si bon que celui de mon époux. Je ne suis pas noble.
    Quelle était irritante, cette croyance inutile qui appauvrissait son espérance plutôt que de l’affermir !
    – Qu’allez-vous chercher là, ma fille ! s’indigna Hervieu de Cubières. Le sang d’un prud’homme et celui d’une meschine ne sauraient se contrarier. Ce m’est une satisfaction de penser que vous vous êtes complétés. Votre fils a de la noblesse, une solidité à laquelle vous, dame, avez contribué. Considérez désormais comme un honneur de l’avoir mis au monde.
    Le clerc s’exprimait d’une voix si ardente, si passionnée qu’il devait être un fils de huron et de huronne. Il y avait dans ses yeux comme une insondable désolation. Peut-être, du fait de sa naissance, avait-il souffert dans son esprit plus encore que dans sa chair pour accéder à la prêtrise.
    Hélie les regardait, ne sachant que faire. Il avait repris toutes ses couleurs et Tristan le sentait envahi par un plaisir encore fragile : il guérirait. Cet homme voué à Dieu lui avait enseigné la confiance sans jamais s’adresser à lui.
    – Vous pourriez aller tous les trois à Compostelle, mais c’est un long et périlleux chemin. Peu de pèlerins en reviennent. Mieux vaut que vous demandiez à la Vierge du Puy-en-Velay d’intercéder pour votre fils auprès du Sien… Et vous, messire, qui êtes chevalier, pourriez honorer saint Georges.
    – Il est aux Anglais !… Ils ne cessent de s’en recommander !
    – Il appartient à tous. Nos fois eux-mêmes vont au Puy pour l’honorer.
    Cessant de regarder alternativement Maguelonne et son fils, le prêtre parut admirer, au-dessus du clocher voisin, le vol d’une buse.
    – N’attendez pas le 15 août pour vous mêler à la procession de la Vierge Noire. Partez avant.
    – Nous irons, dit Tristan pour rassurer Maguelonne. Croyez-vous que…
    Le prêtre prévint une question inutile :
    – Tout ce que je puis affirmer, c’est que, voici deux ans, pour un pareil cas, j’ai conseillé aux parents d’aller avec leurs fils au Puy-en-Velay. Il n’y eut aucun miracle mais, dirai-je, une réussite. L’état de leur gars, du même âge que le vôtre, n’a pas empiré. J’ai vu sa mère il y a peu. Elle m’a dit que le mal semblait se retirer de lui.
    Maguelonne joignit ses mains blanches et, s’adressant à Tristan :
    – Si tu veux en faire un chevalier…
    – Je veux le devenir ! s’écria Hélie sans suffoquer. Je veux pour me guérir aller en cette église.
    La dextre de Tristan se posa, chaude, protectrice, sur les mains, réunies, de son fils :
    – Nous irons, je te le promets.
    – Quand ? murmura Maguelonne.
    – Nous en parlerons en chemin.
    Tristan planta son regard dans celui d’Hervieu de Cubières :
    – Peut-être vous dites-vous, mon père, que c’est folie de vouloir faire de mon… de notre fils un être à ma semblance… Un chevalier.
    Le prêtre secoua négativement la tête :
    – Non… Je vous citerai Jacques : «  Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je n’y suis pas venu apporter la paix mais le glaive. » La France est pauvre, déchirée, livrée à des passions sanglantes… On ne peut pardonner aux hommes qui la voudraient occire… Il n’existe qu’un moyen : les exterminer. Il faut des chevaliers, des guerriers et des armes !
    Tandis qu’il acquiesçait à ce langage inattendu chez un clerc, Tristan songea aux charges auxquelles il avait pris part, à l’agitation toujours pareille issue de ces galopades à toute bride. Il fallait avoir appartenu à ce torrent de chair et de fer mêlés pour imaginer la frayeur de l’ennemi en même temps que la vigueur mortelle de la réception qu’il avait imaginée. Éclairs des plastrons de fer, étincellements des chanfreins et de leur dard terrible, éblouissements des épées nues, des heaumes clos ou déclos ;

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