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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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à sa robe d’avril, une robe de futaine rose jonchée d’armoises et de fleurettes. Elle souriait, refusant de passer pour une femme résignée alors qu’elle se flétrissait dans son cœur et ses espérances.
    Tristan essaya de sonder les pensées du prêtre. Lorsqu’il avait appris l’objet de leur visite Hervieu de Cubières les avait entraînés hors de l’église où ils l’avaient trouvé en méditation devant un monstrance-reliquaire déposé sur l’autel entre deux gerbes de fleurs champêtres. « Venez », leur avait-il dit. Ils avaient pénétré dans un cloître. Maintenant, ils y suivaient cet homme grand, solide, dont la bure frottait le sol et s’accrochait parfois à de fragiles ronces. Hélie marchait devant, puis Maguelonne et enfin lui, Tristan. Ils allaient lentement, respectueusement, gênés de ce qu’ils assimilaient à de l’audace. À dextre, il y avait des épiniers et des herbes si hautes qu’elles penchaient leur tête dans une espèce de recueillement ; à senestre, des pierres, des arceaux, des voûtes et des arbrisseaux poussés là comme pour consolider ce qui pouvait l’être de cette abbaye dont la création remontait à Charlemagne.
    – Nous reconstruirons, dit Hervieu de Cubières comme s’il lisait dans les pensées et les regards de ses solliciteurs. Non, rien ne meurt. Rien !
    Les moineaux alternaient et leurs vols et leurs chants, et la certitude du clerc, dans la fête qu’ils se donnaient, était comme une promesse d’intérêt ou de compassion. Il ajouta, considérant Hélie sans cesser de marcher :
    – L’enfance est un trésor qu’il nous faut conserver.
    Maguelonne acquiesça.
    – Oh ! oui, dit-elle avec un tremblement de tendresse apeurée.
    « Mieux que moi… » se dit Tristan.
    Oui, elle concevait mieux que lui combien l’imprécise vie de leur fils était soumise à Dieu autant qu’au Mal. Dans l’ombre de ce cloître endormi sous les herbes, elle attendait peut-être un éblouissement divin.
    – Piétons, mes amis, dit Hervieu de Cubières. Il ne fait pas très chaud encore… et c’est ainsi que je procède.
    Devant eux, des montagnettes se dessinaient dans le ciel moucheté de blanc avec peut-être, à leur sommet, des châteaux de brumes éphémères pareils à celui de l’enchanteur Merlin.
    – Je vous fournirai des conseils…
    Lambeaux de phrases et d’intentions.
    – Il vous faut le guérir, mon père.
    Il fallait qu’Hélie fût un enfant comme les autres, un jouvenceau comme les autres, un damoiseau comme les autres. Que la campagne de Castelreng devînt pour lui une promesse de Paradis, et que les labours, les fenaisons, les vendanges fussent des eucharisties lui permettant d’y accéder. Reprendre les us et coutumes des anciens comme il les avait repris, lui, Tristan – mystérieuse tradition ou initiation qui tenait moins d’une doctrine que d’une race éternelle : celle des Castelreng. Il fallait qu’Hélie sût tenir une lance, une épée, un marteau d’armes ; il fallait aussi qu’il pût empoigner les mancherons d’une charrue, ouvrir un livre et surtout qu’il sût le refermer pour lire dans la Nature. Qu’il vécût avec elle en accointance étroite, quasi charnelle, avant de jeter sa chasteté aux orties. Qu’il sentît et entretînt en lui cette aptitude à donner du bonheur autant que celle à donner la mort – s’il le fallait et s’il ne pouvait faire autrement.
    Hervieu de Cubières les invita, d’un geste, à s’asseoir sur un banc de pierre écorné aux angles et dont le pourtour nu révélait qu’il y venait fréquemment se reposer hors de l’église. Tristan n’eut qu’un bref regard pour la vieille abbaye dont Maguelonne, à l’inverse de lui, admirait la majesté languissante entre des roncières dont les griffes eussent pu couronner le Christ. La quiétude des lieux invitait à la sérénité, à la prière. Le soleil exhortait de ses ors les futs des colonnes, les murelets çà et là moussus où se posaient parfois un coulon, une tourterelle, une mésange et des moineaux sautillants.
    – Je devine, dit Hervieu de Cubières, debout, que vous avez un fils peu ordinaire. Je l’ai bien observé. Il rêve de vous ressembler, messire. Sa mélancolie vient de ce qu’il doute d’y réussir. Et ce doute le rend malade.
    C’était un homme droit, solide dans sa bure propre, aussi nette que son visage. Une tête glabre ; un regard d’un bleu pareil à l’azur de la

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