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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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tours que tu vois ventiler seront bientôt maculés de sang.
    – C’est vrai, ça, dit Jumelle, tout proche. Moi, j’ai hâte que ça commence.
    – Moi, dit Tristan, j’ai hâte que ça finisse.
    Il se sentait fermé à tout sentiment. Il entendait les bruits d’armes remuées de la même oreille qu’il eût entendu des tintements de vaisselle. Rien ne le pouvait rassurer sur un devenir qui sans doute l’éclabousserait de sang. Il sentait comme une couardise dans son esprit et une lourdeur sur ses paupières. Qu’il eût été bon de s’endormir dans la chambre austère de Villerouge, d’oublier tout comme on oubliait dans la mort !
    Telle une lumière dans une brume épaisse, une douleur l’avait traversé au seul souvenir de Villerouge, Maguelonne… Sa pommette un peu pointue, ses sourcils longs, peu fournis, magnifiant des yeux qui savaient si bien passer de la clarté aux ténèbres. Des yeux pour ne voir que des choses belles et bonnes. Quelles pensées, maintenant, vivaient sous ce front pur ? C’était si injuste que la tristesse y eût trouvé un gîte…
    – Messire, dit Paindorge, va falloir les suivre.
    Sur le point de demander : «  Qui ? » Tristan s’aperçut que les effusions avaient pris fin et que les capitaines de Guesclin commençaient à piéter vers un grand pavillon érigé sans doute à leur intention.
    – Moi, dit Jumelle, je trouve qu’il manque quelque chose.
    Et comme ni Tristan ni Paindorge ne l’interrogeaient :
    – Des femmes…
    – Pense à la tienne, suggéra Paindorge, agacé.
    – Tu sais bien que je n’en ai plus.
    – Pense que tu vas peut-être la rejoindre bientôt. Et laisse-nous en paix !
    Tristan craignait que son compère n’eût indigné ce chevalier pour le moins étrange. Il n’en fut rien. Un gros rire accompagna la repartie de l’écuyer qui, de bon cœur, y joignit le sien. On allait bientôt guerroyer : les courroux et les fureurs n’étaient point de mise entre hommes de la même armée.
    – Robert ! Robert ! suggéra Tristan à voix basse, mets de l’eau dans ton vin.
    – C’est vrai… Je pensais à Alazaïs, Sibille, Maguelonne… Je les trouvais encore plus belles dans ma tête que de mes yeux à Villerouge…
    Tristan acquiesça puis, calmement :
    – Il est un dicton de mon pays que je commence à contester.
    – Ah !
    – Il affirme : Noun së podou counoûissë dë liuën lous mëlouns é las fénnos.
    –  Et ça veut dire ?
    – De loin, on ne peut apprécier ni les melons ni les femmes.
    – C’est vrai que c’est une fausseté, dit Paindorge. Plus le temps passe, plus je m’aperçois que j’aime Alazaïs… et ses melons.
    – Alors, dit Tristan, pense à lui revenir en entier. Nous sommes avec ces gens contre notre volonté. Un jour nous partirons sans même leur dire adieu.
    *
    Lors du festin offert à Guesclin et aux chevaliers qui l’avaient hourdé 57 depuis la France, Tristan retrouva des ricos hombres qu’il avait côtoyés naguère. Quelque aimables qu’ils fussent envers lui et ses compagnons, il sentit flotter parmi ces Castillans la même odeur de défiance ou de détestation refoulée qu’il avait perçue avant Nâjera lors des derniers conseils de guerre. Leur suspicion à l’égard des forains 58 se composait de croyances énigmatiques, de rancœurs abstruses et incongrues sous de larges sourires et des congratulations sonores. Les Français arrivaient ainsi que des sauveurs. Henri allait couvrir de prébendes leurs conduiseurs et s’il prenait enfin sa revanche sur Pèdre, il ne retiendrait plus les cordons de sa bourse. Coiffé d’une couronne obtenue par la violence, le nouveau suzerain ferait bon marché de ceux de son pays dans la distribution des récompenses. Tristan devina tous ces hommes incapables d’oublier leurs rivalités hypocrites, non seulement à l’égard des Français mais aussi envers eux-mêmes.
    Après tout, plutôt que de nuire à l’armée tout entière, cette émulation pourrait être un élément de réussite : à vouloir dominer ses compères en vaillance, l’ennemi souffrirait de cette concurrence. Cependant, chaque race voulant démontrer la supériorité dont elle était imbue, il se pouvait que Pèdre tirât profit de cette disjonction.
    Tristan laissait ses yeux errer sur l’assistance. Son regard s’arrêta sur le Bègue de Villaines entre les vicomtes de Roquebertin et de Rodez, lequel, comme Jumelle précédemment, se plaignit

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