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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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frère est un traître… et vous le savez bien !
    Cela dit, Guesclin lança par-dessus son épaule un os à demi rongé.
    Tristan acheva une côte de mouton qu’il eût bien lancée par-dessus les murailles de Tolède – à condition qu’elle chût dans la maison des del Valle. Il vida son gobelet empli d’un vin doux, chaleureux, Paindorge qui dînait avec l’écuyerie lui manquait. La présence à ses côtés de Cabus et Jumelle, qui mangeaient dru et parlaient à peine, l’obligeait à se poser quelques questions maintenant que la bataille était inéluctable et probablement imminente : que vaudraient-ils, ces deux-là ? Comment se conduiraient-ils en entrant dans les cités fidèles à Pèdre ? Auraient-ils envie d’occire ? De violer ? D’arser les maisons juives et moresques après les avoir vidées de leurs richesses, grandes et petites ?
    Ils en étaient capables. La bataille qui se préparait serait forte, grandissime : la bataille des rois de Castille ! S’il conservait un mauvais souvenir du roi Pèdre devant lequel, naguère, à Séville, Guesclin l’avait envoyé dans l’espérance qu’il ne reviendrait pas, il était bien obligé de se dire que cet homme-là avait l’aspect royal. Henri, lui, n’était qu’un bâtard, un routier auquel la couronne était aussi peu seyante qu’une paire de bois de cerf à un mulet. Il n’aimait pas sa figure rougeaude, allongée, ni sa moustache et sa barbe roide, poussiéreuse. Il y avait en lui une solennité tellement fausse qu’elle semblait l’engoncer et l’appesantir comme une armure mal apprêtée. Sous des paupières grises, cillantes, ses yeux, plutôt que pétiller d’intelligence, brillaient d’un feu glacé.
    – Messires ! Mes chers amis et compères…
    Le bâtard royal se leva. Il allait s’exprimer dans ce français qu’il avait appris en dévastant la Langue d’Oc et en rançonnant toute sa bonne gent.
    – Messires…
    Il observa, tête après tête, et cela prit du temps, la tablée de ces prud’hommes et ricos hombres dans laquelle figuraient d’authentiques maufaiteurs voués à la hache ou au gibet. Ce faisant, il se voulait magnifique. Il n’était qu’une emphase gonflée de chair humaine. À sa dextre, Guesclin dégageait de la splendeur : un éclat noir, funèbre, une puissance qui elle aussi sécrétait de la majesté. On le sentait nanti d’une sorte de solidité empruntée au granit de sa terre, rêche, sombre, indestructible et plutôt qu’un aigle, on discernait en lui du tigre et du renard. Il incarnait, ce jour d’hui, la violence contenue, l’audace en toute chose, surtout les plus détestables, la confiance en soi et le mépris de tout ce qui ne le concernait point. Il n’empiétait pas sur la fausse magnificence de l’usurpateur ; c’était elle qui, au lieu de préjudicier sa présence, mettait en relief sa simplicité de huron au pinacle d’une existence composée de vacarme et de fureur.
    – Messires, le moment du los est venu !
    Henri leva très haut un hanap d’or robé en France, en Navarre ou en Espagne.
    – Buvons à la victoire, messires ! Elle sera nôtre, vous le verrez, en quelque lieu où nous affronterons Pèdre !
    Tous les convives avaient levé leur coupe. Tristan les imita. Sa position à l’égard de Guesclin était déjà suffisamment précaire pour qu’il ne l’envenimât point. C’eût été de la folie de se taire et de ne point hurler à l’unisson des autres :
    –  Castille au roi Henri !
    Il vit le Breton ébaubi par la violence de son cri.
    – Bien, Castelreng. Je vois que tu deviens intelligent !
    Et Guesclin de lever derechef son hanap :
    –  Castilla por el rey don Enrique !
    Il avait dû apprendre l’espagnol dans les bras de sa maîtresse. Aussi pénible que cette nécessité pût être à une détestation sans frein, Tristan hurla lui aussi : « Castilla por el rey don Enrique ! » et ce clam 63 que messire Bertrand attendait :
    –  Notre-Dame, Guesclin !
    Le bâtard de Castille n’osait se rasseoir. Il lissa des deux mains ses cheveux longs et sa barbe, puis rajusta l’ébréchure de son flotternel de velours carminé d’où pendait un lourd pentacol dont, à coup sûr, il n’était point le propriétaire :
    – Messires, nous allons apprêter nos dispositions pour la prochaine bataille. Pedro chevauche à fort noble compagnie. Tous ses prud’hommes ont endossé l’armure. On ne vit jamais, au sortir de

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