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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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l’indignait et ranimait son aversion envers le Breton – pour autant qu’elle eût besoin d’être ranimée.
    Le pavillon de Don Henri était gardé par une vingtaine de guisarmiers quasiment au coude à coude en un cercle de fer.
    « Il a peur », se réjouit Tristan. « Cette grande goule qui prétend avaler Pèdre est effrayée par le voisinage de son frère ! »
    Deux guisarmes se croisèrent devant lui.
    – Holà ! dit-il aux hommes. Je ne vais pas l’occire !… Dites-lui que Guesclin veut le voir sans tarder… I Comprendo ?
    La tête du roi apparut. Si peu qu’il l’eût vu, Tristan avait aperçu les brillances d’un haubergeon de mailles fines. Oui, Don Henri avait peur.
    Bientôt, sous la tente du Breton, le prétendant fut informé des propositions de son demi-frère. Il les jugea évidemment honteuses. La royauté, dit-il, ne se monnayait pas. On ne pouvait acheter ses serviteurs, même à prix d’or. Il avait oublié, soudain, les largesses qu’il avait prodiguées à tous les ricos hombres qui avaient fait de lui un roi éphémère et dont certains l’avaient trahi sans hésiter à Nâjera.
    – Eh bien, dit-il, Bertrand, vous ne perdrez rien. J’acquitterai les promesses que ce bâtard vous a faites par le truchement de Men Rodriguez. Vous aurez les six seigneuries qu’il vous a offertes et en sus les deux cent mille doubles d’or. De quoi vivre longtemps en Espagne avec qui vous savez 108  !
    « Pauvres Castillans ! » songea Tristan. « Pressés par Pèdre, ils vont être pressurés par Henri 109  ! »
    – Alors, voilà, dit Henri, c’est tout simple. Vous allez feindre, Bertrand, de piéger 110 et d’accepter le trespas 111 de Men Rodriguez. Cette acceptation forcera le Bâtard à quitter Montiel sans défiance. Vous le cueillerez lorsqu’il sera tout proche et me l’amènerez… Dieu vous garde !
    Tristan tressaillit. Décidément ce chevalier sans chevalerie, ce futur roi, tout aussi vil que le Petit-Meschin et tant d’autres, et ce Guesclin parjure lui rappelaient tous ceux de Brignais.
    « Merdaille humaine !… Et ces gens se prévalent de tous les bons sentiments du monde et se réfèrent à Dieu sans vergogne ! »
    Le regard du Breton croisa le sien et pour la première fois, dans celui de son ennemi, il découvrit de l’incertitude. Or, Guesclin voulait une approbation illimitée.
    – Sire, vous me demandez une infamie.
    – Bah ! Bah !… Pèdre est un suppôt du diable. Vous n’allez pas me dire, Bertrand, que tout à coup des scrupules vous étouffent et contraignent vos mouvements !
    Le prétendant riait, le Breton restait froid. Lui eût-on présenté un crucifix qu’il l’eût baisé, agenouillé.
    – Il me faut pourpenser tout cela, dit-il. Demain, j’en suis certain, Men Rodriguez redescendra. Je veux que l’on dise aux hommes du guet d’être aveugles et sourds. Et si le capitaine ne descend pas, j’irai nuitamment au château afin de rassurer Pèdre.
    – C’est folie !
    – C’est sagesse, mon roi.
    Charles V ne lui suffisait plus. En fait, Guesclin était davantage le féal de Don Henri le bien portant fortuné que celui de Charles, un impotent dont la fortune semblait apparemment aussi fragile que la vie.
    *
    Le lendemain, Tristan se vit relevé de sa garde et désigné pour aller chercher à Villahermosa, au nord de Montiel, avec Paindorge et trente hommes, un charroi de viande et de farine. Dès leur retour, le mercredi 21 à l’heure de tierce (389) , Cabus leur apprit que les négociations entre Pèdre et Guesclin duraient toujours, compliquées à plaisir par le Breton. Pèdre accordait toute sa confiance à Guesclin mais hésitait encore à quitter ses fidèles. Montiel encombré de guerriers et de chevaux ne pourrait supporter longtemps la famine. On eût pu occire les chevaux, mais on en aurait besoin. On manquait d’eau. Il faudrait sans tarder ou combattre ou se rendre. Les Juifs, se sentant perdus, s’apprêtaient à mourir les armes à la main ; quant aux Chrétiens « dévoyés », ils préféraient le pardon royal à une bataille inutile. Guesclin affirmait tout cela si crûment qu’il semblait être allé au château à plusieurs reprises – la nuit. D’autres que lui avaient emprunté ce chemin 112 .
    – Qui ? demanda Tristan.
    Cabus fit un geste des deux bras pour mieux affirmer son ignorance.
    – Je n’en sais rien. Ils partent à l’avesprir (390) et reviennent avant le jour.

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