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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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s’il ne s’était encore rien passé, même si Pèdre demeurait toujours à Montiel. Selon les principes en usage dans la chevalerie, les propositions du roi ne pouvaient être que rejetées. Ce rejet contrariait Guesclin.
    Ils avaient bonne mine, ces routiers, se dit Tristan. Cela leur allait bien d’exciper de principes qu’ils bafouaient sans trêve, et de vertus dont ils étaient dépourvus.
    – Moi, je me garderais de prévenir Henri, dit Kerlouet. Une proposition de trahison exige du chevalier qui la reçoit une trahison en retour envers l’homme qui la lui a faite. Tu n’as qu’à occire Senabria pour avoir osé vouloir te circonvenir.
    – Moi, je dirais tout à Henri, fit Alain de Mauny d’une voix de feutre qu’il rendit cinglante, rugueuse, en posant la question capitale : Sommes-nous chevaliers ?
    –  Pèdre te demande quoi, Bertrand ? dit Olivier, le cousin le plus aduré aux armes. Une trahison. Ne nous dis pas que tu méprises les perfides !… Par des fallaces que j’ai parfois désapprouvées, tu as gagné de petites embûches et arrondi ton escarcelle. Or, cette fois, ce n’est pas une escarcelle qu’il te faut, mais un tonneau… Alors, je dis : au diable les préceptes de la chevalerie. Pèdre est un méchant roi : n’atermoie pas pour le trousser 101 et trahir.
    Olivier de Mauny, dans ce rappel d’une ancienneté dont le roi Charles lui-même ignorait les détours, faisait preuve d’une audace sans précédent. Mais il était le «  bon cousin  », le «  gentil parent  » qui, depuis leur jeunesse prime, sans doute, avait partagé la vie aventureuse de Bertrand. Pas plus que lui, il n’avait respecté les dix simples préceptes de l’Ordène chevaleresque, ni les règles d’une élémentaire probité, ni même sa propre parole. Il se voyait, lui et les autres, une fois débarrassés de Pèdre, se merveiller devant son trésor et y plonger les mains par jointées 102 d’où déborderaient toutes sortes de pièces d’or.
    – Laisse aux Espagnols leur casuistica 103 comme ils disent. Pense à toi et à tes mérites et, au-delà, pense à nous.
    – Un homme qui se livre à de tels parçons 104 est indigne d’être traité en chevalier, dit Henri de Mauny d’une voix dont la fermeté avait décliné du premier au dernier mot.
    – Men Rodriguez a obéi à son seigneur, dit Villaines, sans bégayer tant il était heureux de s’opposer à des opinions qu’il réprouvait sans doute davantage qu’il ne le laissait paraître. Pour moi, il est… un preux. Il mérite respect.
    S’il n’exerçait aucune domination sur ces hommes qu’au tréfonds de lui-même il jugeait en routiers, du moins avait-il cette nuit l’occasion de les contredire. Et la houppelande vermeille qui le couvrait lui donnait l’apparence d’un juge.
    – Félonie pour félonie, tonna Guesclin, je peux trahir Men Rodriguez et son maître la conscience en paix… Oyez : nous arrêtons Pèdre. Nous nous saisissons de sa personne et du trésor qu’après tout il nous réserve… Ce ne sera même pas une roberie mais la réquisition d’un dû.
    Tristan trouva que c’était gros. Détestable. Mais cet acte infâme ne s’inscrivait-il pas dans la continuité des abjections lors desquelles Guesclin se délectait ? Les embûches au lieu des combats face à face ; les tourments, tueries et viols qu’il pardonnait à ses Bretons ; les grands feux qu’il allumait lui-même, surpassant alors Simon de Montfort dans l’abominable et qui n’étaient que des offrandes propitiatoires à Bélial, son dieu !… N’ayant aucune conscience chevaleresque – bien qu’il eût fait appel à ses compères afin d’obtenir leur approbation, voire leur bénédiction -, il était déjà occupé à parfaire les délices d’une duplicité dont il voulait qu’elle comptât dans sa vie et ses finances.
    – Qu’on aille chercher Henri, dit-il. C’est un devoir de l’enditter 105 . Vas-y, Castelreng. J’ai foi en ta ravine 106  !
    Tristan s’inclina, mais c’était seulement pour sortir à reculons de la tente 107 .
    Tandis qu’il s’éloignait, il regretta de perdre l’occasion de juger complètement tous ces mercenaires que le déshonneur n’atteignait pas. Qu’un Petit-Meschin eût tenu les propos de Guesclin ne l’eût point contrarié, mais que le Breton usât bientôt d’une feintise abominable pour prendre Pèdre au corps et s’approprier le reliquat de sa fortune, voilà qui

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