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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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aucun d’eux n’osait bouger davantage. Quant aux femmes, elles observaient alternativement leur concubin ou leur époux, immobile et indécis, et ces visiteurs dont elles redoutaient la forcennerie. La conviction que tous ces êtres éprouvaient d’autant plus de crainte qu’ils avaient été surpris lors d’une liesse incompatible avec un deuil récent – et quel deuil ! celui du présumé maître – ajouta au ressentiment de Tristan une fureur dont il sut contenir les effets.
    – On s’en donne à cœur joie, dit-il, à ce qu’il semble.
    Il sentait réunies en lui la froideur de son bon droit, la plénitude de ses moyens et la violence d’un plaisir anticipé qui ne s’achèverait que par une double punition dont il ignorait la nature.
    – Assure-toi, Girard, que nul n’est derrière cette porte, là-bas. Ils ont dû convertir cette partie du cellier en cuisine… Allons, va !
    Lebaudy obéit dans un cliquetis d’éperons.
    – Yvain, place-toi près de ce jeune goguelu. N’en bouge pas.
    – Soit, messire, dit Lemosquet, la main sur la prise de son épée.
    Contrairement à ses craintes, Tristan se sentait dans un état de satisfaction profonde. Les clartés sautillantes des chandelles offraient à son examen une Aliénor indécise et pâle. L’anxiété ajoutait un charme trouble à cette figure froide, aux chairs comme serrées de mécontentement, et à ce corps où s’unissaient imparfaitement le nonchaloir et l’induration de la malerage. Comment ne l’eût-il pas sentie prête à bondir, une lame à la main, tandis qu’elle dardait sur lui des yeux de velours flamboyant ?
    – Que me veux-tu céans ? Qu’es-tu venu chercher ?
    Tristan se composa un visage illisible.
    – Je te le dirai, sois-en sûre.
    Prenant le gobelet qu’elle s’apprêtait à saisir, il se versa à boire, sachant bien que le vin du pichet ne pouvait être enherbé. Quand il se fut désaltéré, Aliénor découvrit ses belles dents de chienne :
    – Tu sais pour ton père ?
    – Je connais sur sa mort plus que je n’en voulais.
    – Qui vous a dit ? demanda Olivier en bout de table sous l’œil attentif de Lemosquet.
    Tristan l’ignora. Il observait Aliénor. Pendant quelques mois, aucune autre donzelle que cette fille n’avait pu évoquer aussi parfaitement pour lui les ferveurs de la passion et l’unisson des fêtes charnelles. Elle était bien placée, cette gaupe, pour lui faire prendre des vessies pour des lanternes 164 . Elle avait condensé, exalté dans son cerveau d’adolescent la suavité de la chair, la luminosité de la vertu, le bonheur d’être ensemble et de partager les mêmes envies sinon les mêmes espérances. Au plus secret des forêts où elle aimait à se dénuder davantage pour elle, sans doute, que pour lui, il avait connu de l’amour le miel et les aromates sans deviner, tant elle savait contenter ses goûts, qu’elle en usait – déjà – comme d’un poison dont peu à peu il avait cependant découvert la malfaisance et l’antidote. Cette vesprée, dans la lueur cuivrée des chandelles inégalement réparties sur la table et des cierges posés sur l’entablement d’une crédence bancale, il la retrouvait un peu. Elle avait forci. Son corsage serrait de près un corps qui se bouffissait. Sa lividité quasiment mortelle, l’éclat contrasté d’une bouche rouge comme une cire à cacheter, le frémissement des doigts proches du couteau dénonçaient plus de félonie 165 que de trouble. Cependant, la volupté se lisait dans le lent battement des longs cils et la façon de suçoter le bord du gobelet où un échanson d’occasion, soudain issu des convives, venait de lui verser du vin puis s’en revenait s’asseoir entre deux commères.
    – Laisse-nous, dit-elle. Ou tu reviens vivre parmi nous, ce dont nous serons affligés… ou tu t’en vas.
    – Tu parles en suzeraine ? Apporte-m’en la preuve.
    – Nul besoin de parchemin. J’étais et suis encore l’épouse de ton père.
    Ô combien, évadé de ce corps longtemps chéri, il avait su renaître à la vie ! Aliénor n’avait plus aucun pouvoir sur lui, et pourtant, il était saisi d’un scrupule : « Oserai-je ? » Paindorge l’observait. Lemosquet et Lebaudy surveillaient les autres. Olivier ne perdait rien des propos et mouvements des honnêtes Tard-Venus dont sa mère n’avait aucune crainte. Son œil sagace et vipérin allait de l’un à l’autre et quand Tristan le sentait revenir

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