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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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qu’envenimer son courroux. Ses compagnons n’étaient guère enclins à échanger des propos qui eussent pu lui déplaire : ils épiaient ce chef qui leur semblait embrelicoqué dans un sort contraire à ce qu’il méritait et qui se triboulait dans des intentions dont la disparité les laissait perplexes. Soumis à sa volonté et n’éprouvant pour lui que de la confiance, ils le laissaient ourdir sa vengeance. Quelle que fût la façon dont il l’exercerait, ils étaient disposés à y participer.
    Tristan n’osait conjecturer quoi que ce fût. Toute hâte lui serait un désavantage. Les terres plates ou chenues traversées par un chemin qui montait insensiblement, le vent du soir, les horizons lointains soulignés, sous le bleu du ciel, d’un rehaut pareil à un trait de plume, lui donnaient, à mesure qu’il les retrouvait, une assurance imprégnée de griserie. Par une sorte d’orgueil plus que par discrétion, il n’avait rien révélé à ses compagnons de son entretien avec le bénédictin. S’ils savaient qu’il avait obtenu la preuve de la culpabilité d’Aliénor et de son fils dans le trépas de son père et d’Augusta Gaulène, aucun d’eux ne l’avait questionné. Or, maintenant, sa circonspection lui devenait pénible. Il redoutait que, bientôt, les émois des retrouvailles et les cinglons de la fureur pussent user de lui à leur guise et n’accepter aucun contrôle. Ils s’abattraient, denses et accablants, sur les idées qu’il ébauchait et consolidait sans trêve à mesure qu’il approchait du château. Il craignait de n’être plus qu’une machine envigourée de malerage, exposée à la cautelle 163 de deux êtres lucides et pervers entourés de fidèles au dévouement sans bornes.
    – Nous sommes quatre, mes bons amis. Ils sont une vingtaine, peut-être davantage, dont cinq ou six femmes. Nous avons déjà entrevu les hommes. Tous jeunes. Ils nous laisseront entrer… Ne leur présentez jamais votre dos… Nous attacherons les chevaux à un arbre dans un boqueteau proche des murs. Nous entrerons à pied et aviserons sur place. Gardons-nous d’imaginer la façon de les forclore. Ils nous offriront l’occasion d’agir à leur détriment.
    *
    Le portier n’eut pas à souffler dans son cor. D’un méchant coup de poing Lebaudy l’étendit roide. Il y avait dans son logis, dont l’huis s’ouvrait sous la voûte d’entrée, des cordes et des vêtements. On le lia, musela étroitement avec la manche d’une chemise et le jeta sur son lit. Son épouse effrayée l’y rejoignit, traitée de la même manière.
    Une lumière brillait aux écuries. Tristan et Paindorge y pénétrèrent cependant que Lebaudy et Lemosquet demeuraient sur le seuil.
    – Qu’est-ce que… fit un des deux palefreniers occupés à panser un cheval à la robe noire, frémissante, et qui semblait craindre jusqu’à l’attouchement de l’un ou l’autre des rustiques.
    – Vous n’avez pas…
    L’estoc de Teresa pointé sur sa poitrine enjoignit au goujat de se taire. Son compagnon, un jeunet, leva les bras en signe de soumission.
    – Des chevêtres, Robert, intima Tristan. Trouve m’en.
    Liés tout d’abord ensemble dos à dos, les deux drôles furent attachés solidement à une poutre de soutènement. Tristan leur fit ouvrir la bouche. Une corde fit office de mordache une autre de garrot. Bouger, c’était peu à peu s’étrangler.
    – Il doit rester dix hommes, conjectura Paindorge.
    – L’équilibre, Robert, est en train de se faire.
    Ils rejoignirent Lemosquet et Lebaudy et s’approchèrent d’une fenêtre de l’ancienne échansonnerie convertie en tinel. Tristan coula un regard à l’intérieur.
    – Ils sont tous là, dit-il. Il semble que le donjon n’est pas à leur goût… Oyez comme ils soupent gaiement. Nous allons nous inviter. Prenez garde : il y a dix mâles, y compris mon soi-disant frère, un bâtard de je ne sais qui… Je viens de compter six femelles et l’Aliénor.
    La porte était étroite ; ils entrèrent un par un. Tristan d’abord, puis Paindorge et les deux soudoyers.
    – Le bonsoir, dirent-ils.
    Sous un plancher qui s’arénait en raison de l’humidité due à des brèches dans la toiture, ce fut le silence.
    Tristan n’entendit même pas les cuillers se poser près des écuelles de part et d’autre desquelles les mains des hommes se serraient, certaines si proches de leur couteau qu’elles devaient en tiédir le manche. Cependant,

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