Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
continuelle et tenait peut-être de sa mère une sensibilité aiguisée par un esprit de perfection et de charité dont se félicitaient ses proches. Elle eût dû s’épanouir dans les moments privilégiés de l’amour or, il semblait qu’ils constituaient désormais pour elle une sorte d’obligation nocturne qu’elle ne pouvait récuser ; quelque chose, sans doute, dont elle eût pu se passer.
    – Tu vois que je t’aime…
    Elle ne répondit pas. Lorsqu’il l’avait épousée, elle était une force juvénile, droite, fraîche, pétillante qui, une fois vaincue, en redemandait. Elle ne se référait jamais à ce temps-là. Lui si ! Il la trouvait alors merveilleuse et indispensable comme elle le trouvait indispensable et merveilleux. S’il ne doutait pas de la constance de son amour pour lui, il eût aimé qu’elle le lui prouvât autrement que par des sourires, des regards tendres, des voix douces et des allongements sacrificiels. Si elle était restée celle qu’il avait voulue et voulait encore, ils n’eussent point senti au-dessus d’eux ce « quelque chose » qui était comme un nuage maléficieux. Elle n’eût pas enténébré par son indéchiffrable indifférence l’ardeur qui le tourmentait. Non ! Non ! Il ne se croyait pas, comme elle le pensait, dominé par un instinct déplaisant. Il surprenait dans la cohue du marché de Limoux des gestes et des mouvements purs et impurs. La démarche de certains couples le troublait. Il y percevait l’état de passion ou de désillusion des uns et des autres. Bonheur joyeux des amours assouvies, âpre maussaderie des dépossessions funestes. Il prévoyait d’un regard compatissant ou non les ruptures latentes ou les rapprochements futurs. Sitôt las d’observer la fourmilière humaine, il allait vider un gobelet de cervoise ou d’hypocras chez Limouzy, à la Bonne Truite. Un jour, dans l’attente d’être servi, son regard s’était posé sur ses mains. Des mains de huron, guère différentes de celles du chevalier de naguère. Il s’était dit que de ses doigts fervents et tendres, quoique rugueux, il avait joué toutes les musiques de l’amour. Désormais, les cordes de sa guiterne semblaient rompues.
    Plutôt que de l’inciter au sommeil, le silence des nuits le maintenait en état de veille. Mais pourquoi, ce soir-là, atermoyait-il pour prendre Maguelonne dans ses bras ? D’ailleurs, n’était-ce pas à elle d’accomplir le premier geste ?
    « Je lui ai donné Castelreng. Il est sien autant que mien. Je ne peux tout de même pas lui envoyer une ambassaderie pour savoir si ce sera oui ou non ! »
    Ce fut oui, mais si spontanément qu’il prit l’acceptation de son épouse pour le témoignage de reconnaissance qu’il venait d’espérer. Avait-elle songé : « Je te dois bien ça » ? Non ! Cela ne se pouvait. Son souci de la perfection en fut comme annihilé. Maguelonne, au premier geste ébauché, l’attira contre elle avec une vigueur presque furibonde pour le guider avec un soin jaloux, une évidente volonté de bien faire. Il sentit entre eux, immédiatement, une sorte de désaccord qui s’aggrava lorsque, satisfaite, elle sombra dans une passivité qu’il ne lui connaissait que trop. Le beau corps convoité se dénoua du sien.
    – Oye, dit-elle. Hélie tousse. Il me faut aller voir.
    Elle alluma une chandelle au feu de cheminée. Dans la main d’une nudité presque aussi insaisissable qu’un fantôme, il vit s’éloigner le petit picot d’or frémissant. Pour une fois, il ne se sentit point iré contre sa femme. Il se dit que la vie d’un guerrier n’était peut-être pas si stupide. En tout cas qu’elle eût pu être belle si Guesclin ne l’avait pas corrompue. Un visage soudain éblouit son cerveau. Il refusa de le reconnaître.
    *
    Le lendemain, lorsque tous ses témoins eurent quitté Castelreng – sauf Lebaudy et Paindorge -, Tristan argua du fait de la cérémonie de la veille pour présenter à Maguelonne une décision prise entre deux sommeils :
    – S’il n’est pas encore temps pour Hélie de s’exerciser aux armes, il peut apprendre ce qu’elles sont, comment on s’en sert, comment on soigne les chevaux et comment on les dresse.
    Contrairement à ses craintes, elle ne se récria point.
    – Tu es son père, dit-elle d’une voix comme assombrie.
    Allons, il allait avoir de quoi s’émouvoir et s’exalter.
    Hélie était bien trop jeune encore pour qu’il lui enseignât les

Weitere Kostenlose Bücher