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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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compris.

 
VI
     
     
     
    1375 commença dans le froid et la neige. Des matins glacés, des soirs trop lourds où le bois humide, mis au feu, tardait à prendre. Les doigts longs et pâles de Maguelonne affairés à quelque ouvrage, les jeux silencieux des enfants, les propos de Paindorge, Lebaudy, Alazaïs et Sibille composaient la trame des veillées toujours les mêmes, empreintes à l’infini d’une sorte de tristesse ou de nonchalance légère tandis que l’or vieilli des murs reflétait les danses des flammes, leurs enlacements vifs, leurs divorces, leurs bonaces. Les sourires qui se voulaient agréables et confiants revêtaient, pour Tristan, quelque chose d’affligeant – ou d’inachevé. Dans les visions où son esprit se désennuyait, revenaient l’Espagne, Brignais, Cocherel -gloire, désespoir et soleil. Les rubis des batailles y scintillaient. Les tumultes d’acier, parfois, le contraignaient à clore ses paupières comme s’il pouvait les entendre plus fort ou plus longtemps. Il écoutait la guerre et se demandait si ses deux compères ne l’écoutaient pas, eux aussi, dans le secret de leur crâne.
    Maguelonne l’observait d’un frisson de ses yeux tendres. Elle faisait son possible, malgré le temps, pour que Castelreng conservât sa beauté, sa force, son bien-vivre. Il voyait, lui, des villes mortes, des portes fracassées, des fenêtres béantes d’où fluaient des protestations quand ce n’étaient des hurlements. L’eau vaine des souvenirs ne noyait point son sentiment de tristesse. D’où lui venait cette mélancolie ? De la certitude qu’il n’avait point une vie à sa convenance ? Il ne connaissait aucune réponse.
    Quelques nouvelles vinrent parsemer les propos des hommes. À Paris, on avait construit un pont nouveau (410) . Une bastille énorme était en cours de finition. Pour vaincre les Goddons qui s’y renforçaient, Charles V avait décidé d’isoler la Bretagne. On guerroyait un peu partout contre les possessions d’Édouard III et les maréchaux et capitaines de l’ost aux Lis devaient désormais se plier à des commandements sévères 213 . Les jeux qui ne développaient pas l’esprit militaire étaient interdits.
    Que l’armée fut « bridée » parut à Tristan une décision heureuse, bien qu’il doutât que certains meneurs d’hommes – le connétable en particulier – fussent animés d’un solide respect pour les volontés du roi. Quant aux déduits 214 , ils continueraient : il suffisait que les joueurs eussent la possibilité de s’isoler pour donner libre cours à leur passion des dés, des cartes, des honchets, du capendu ou de la pomme branlante. À Castelreng, on pratiquait parfois, aux veillées, les échecs et les dames. On y commentait davantage les nouvelles en provenance d’Albi, Toulouse, Carcassonne et Montpellier que celles venues chichement et lentement d’ailleurs.
    Il en fut de même en 1376. Apprenant, à la mi-août de cette année-là le décès du prince de Galles, Tristan n’exprima aucun étonnement.
    – Il était si mauvaisement malade, dit-il à Paindorge, lorsque nous avons comparu devant lui, après Nâjera, que j’avais pensé qu’il dévierait 215 plus tôt.
    – C’est la belle Jeanne qui va être heureuse !
    – Je n’en saurais douter.
    – Il a commis moult forfaits, ajouta l’écuyer. Des énormités tout comme les Tard-Venus. Je suis sûr qu’il entrera en Paradis : C’est un noble… On sait, nous, que la Jeanne avait la cuisse légère. On avait peut-être honni l’épouse, à la Cour d’Angleterre. On la plaindra comme veuve.
    – Vrai, ça, dit Lebaudy, présent.
    Et Paindorge sentencieux :
    – Quand une princesse fornique çà et là et qu’elle meurt d’une façon ou d’une autre, on dit : «  C’était une passionnée… Elle était charitable  » voire : «  C’était la princesse des humbles. » Quand c’est une bourgeoise ou une femme du commun, on ne commente plus, on juge : «  C’était une pute. » Pas vrai ?
    Tristan acquiesça :
    – La grosse fleur de la Chevalerie anglaise s’est fanée. Nous n’allons pas fondre en larmes… Souvenons-nous, Robert, du pas d’armes de Bordeaux.
    – Je ne l’oublierai jamais, pas plus que je n’oublierai la mort de Tan…
    L’écuyer s’interrompit de lui-même.
    – La mort de qui ? s’étonna Lebaudy.
    – Celle d’un gars qui était avec nous… Il s’appelait Tancrède…
    C’était bien trouvé.

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