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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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sur quelqu’un ou quelqu’une bien qu’elle eût incidemment appris « des choses » qu’elle semblait comprendre ou pardonner.
    Hélie retenait toute son attention. Si elle devait se rendre à Limoux – la seule cité qu’elle appréciait parce qu’elle y fréquentait Antonia -, elle le confiait alternativement à Sibille et Alazaïs. Au retour, elle talonnait Doucette, sa blanche haquenée, afin de retrouver l’enfant au plus vite.
    « C’est une bonne mère », se disait Tristan désappointé par cette idolâtrie qui prévalait sur la passion dont il avait antérieurement profité. Comment, d’ailleurs, eût-il pu se courroucer puisqu’il pouvait, la nuit, disposer de son épouse. «  Es ën chânso : sa fénno fâi l’amour. » 196 C’était une expression du pays. Était-ce une chance ? «  Tu me veux ? Tu m’as  » ou «  Tu m’as voulu ? Tu m’as obtenue, et maintenant dormons » semblait être la nouvelle formule d’une affection qui n’était plus – mais peut-être se méprenait-il – que la retombée de leur passion première. Il se disait : « C’est Hélie qui la circonvient. » Il ne pouvait, tout de même, être jaloux d’un enfançon dont les traits commençaient à ressembler aux siens !
    Il se demandait encore :
    « Si Maguelonne avait été l’épouse d’un gars de son âge et de sa condition, serait-elle heureuse ? »
    La réponse était négative. Sa femme méritait mieux qu’une pitéable existence assortie de difficultés sans nombre. Il acceptait donc cette vie. Il avait tant de remembrances à égrener, même en présence de Maguelonne…
    – À quoi tu penses ? s’inquiétait-elle.
    – À des choses…
    Des événements où elle ne figurait point, des visages qu’elle n’avait jamais vus.
    Ils savaient l’un et l’autre qu’ils étaient victimes d’une perte irréparable. Ils connaissaient désormais l’état de leur humeur selon le son de leurs voix. Le sang qui les avait brûlés s’était comme asséché. Une espérance les hantait, qu’ils ne se dissimulaient guère : celle de retourner, comme au jeu de l’oie, au commencement de leur union et même au soir de leur première rencontre. Ces possibilités leur paraissaient absurdes. Le temps ne reviendrait pas où, après une belle nuit, Maguelonne transportée de joie ou resbaudie 197 par un reste de plaisir chanterait en procédant à ses ablutions puis en peignant sa chevelure. Le temps s’était flétri du baiser matinal parfois suivi d’un effet inattendu. Regarder en arrière était se tribouler, vivre le présent, c’était souvent sombrer dans la mélancolie, imaginer l’avenir sous des couleurs agréables, c’était en vérité faire preuve d’aveuglement.
    Maguelonne se posait-elle des questions sur Sibille ? Se demandait-elle si sa sœur était heureuse comme aux premiers jours auprès de Lebaudy ? Lorsqu’ils se rendaient à Limoux et qu’il la quittait pour « faire un tour de marché » avec Lemosquet, essayait-elle de savoir si Antonia était heureuse en ménage ? Que ces deux confidentes l’eussent été ou non, la vie à Castelreng n’eût pas varié d’un pouce.
    Il fallait comme à l’ost se laisser emporter par le cours des événements et faire front lorsque la nécessité s’imposait : une mauvaise récolte, un cheval malade – légèrement car ils étaient attentivement soignés -, une roue de chariot à enarbrer 198 – en regrettant l’absence de Pierre Massol -, ainsi que d’autres désagréments auxquels Paindorge et Lemosquet se chargeaient de remédier. Il convenait de se dire, pour purger son cerveau des soucis de tous ordres, que lorsque Hélie aurait quelques années de plus, il échapperait à l’emprise de Maguelonne. Les choses alors s’arrangeraient d’elles-mêmes : il ferait de son fils un homme.
    Il prévoyait une opposition, des querelles. Maguelonne refuserait de lui abandonner Hélie. Deux voies s’ouvriraient devant lui, devant eux  : celle de la tradition encore dominante et qui consistait à forger à leur hoir un corps et une âme ; celle de l’abandon qui, au lieu d’un preux, ferait de leur fils un être ordinaire. Cette issue se traduirait chez lui, son père, par un renoncement aux sentiments les plus sacrés, à commencer par le simple courage, chaque matin, d’affronter une journée qui, pareille aux précédentes, lui apporterait plus d’ennuis que de satisfactions.
    Il ne savait de quelle

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