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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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les deux femmes occupées à confabuler dans la cour. De qui s’entretenaient-elles ? De Maguelonne ? D’autres choses ? Comme elles avaient l’air sérieux !
    – Surtout, dit-il en considérant attentivement Paindorge puis Lebaudy, cessons de craindre la guerre. Qu’elle ne nous empoisonne plus.
    Il voyait les hanches des deux femmes s’agiter, leurs mains accompagner leurs commentaires, leurs bouches se plisser sous l’effet d’un accès d’amertume ou s’entreclore pour un sourire.
    – Elles ont bien changé depuis Villerouge.
    C’était Paindorge qui disait cela. Et sur quel ton !
    – On peut pas toujours coucher, dit Lebaudy.
    Il était parvenu à la satiété !
    Plaisir amer que de voir ces deux compères soudain mélancoliques. Tristan sentit sa moelle se réchauffer. L’odeur tantôt aigre, tantôt profonde et lourde des logements 212 de l’ost lui revint aux narines, stimulée par celle de l’écurie toute proche. Une émotion naquit en lui, proliféra sous sa chair avec les sensations dissoutes : les cris, les galops, les lueurs des armes, le froussement mortel des sagettes. Il maudissait cette vie ! Au cœur des mêlées, il l’avait maudite ! Il avait aspiré à la paix de l’âme et du corps. Il avait souhaité une épouse à ses côtés. «  Pas seulement dans un lit !… À mes côtés, partout ! » Il y avait entre ses compères et lui un faux silence, un de ceux où l’on sent ensemble que rien n’est parfait, où l’on communie dans une espérance sans nom, sans bornes et presque sans passion. Il fallait se résoudre à vivre : la peine de vie comme il y avait une peine de mort… Bon sang ! Le mariage devait autoriser l’homme à soumettre la femme. Marié. Depuis l’enfance, un tel mot avait eu pour lui un sens étrange, subtil. Outre le bonheur d’être ensemble, il signifiait aussi des ardeurs libérées, des scènes inavouables. Ses parents n’avaient jamais prononcé un mot d’amour. Par discrétion ou par orgueil. Et d’ailleurs s’aimaient-ils ? Étaient-ils fervents hors de sa présence ? Avant de connaître Hombeline d’Arzens, son père avait-il connu moult égarements ? Et ensuite ? Il ne semblait pas, à la réflexion, qu’ils eussent été heureux. Ni malheureux. Chacun avait vécu dans sa solitude. Ils n’étaient jamais aussi gais, aussi francs que dans la foule des joutes et des rares tournois. Ils fournissaient à leur entourage une vision séduisante de leur couple. Hombeline devenait, parmi la damerie, un charmant personnage de roman, une sorte d’Yseult ou de Guenièvre que la fréquentation des gentilfames et des prud’hommes exigeait. Mais en-deçà et au-delà ? Son époux lui prenait la main, l’embrassait dans le cou. À table, il se montrait plein de prévenances. Leurs visages se penchaient fréquemment l’un vers l’autre. Comme Maguelonne et lui, Tristan. Seulement, ce n’était jamais le baiser qu’il avait espéré, mais un contact sobre, presque un effleurement. Où étaient les baisers d’Oriabel !… Qu’était-ce que cette caresse molle et tiède eu égard à celle de Luciane ? Il suffisait que dans l’ombre Maguelonne consentît pour qu’il se sentit juvénilement investi d’un bienfait et qu’une joie nerveuse succédât au plaisir qu’il avait pris – bien qu’il fut terne comparé à certains autres. Leur amour n’était plus que le pâle reflet de ce qu’il avait été à Villerouge. Pourquoi ?
    Regardant ses deux amis, il sentit dans leur intérêt pour lui une espèce de compassion.
    – La guerre vous manque, dit crûment Paindorge. Et à moi aussi.
    – Pas la guerre, l’ost, rectifia Lebaudy.
    – Nous sommes les fantômes de ce que nous avons été, grommela Tristan tout en grattant le sol de la pointe de sa heuse. Les fantômes du devoir, les fantômes de l’honneur, les fantômes du bonheur, c’est nous… Et c’est peut-être pourquoi nos femmes nous en veulent. Elles savent qu’au moindre mandement, nous partirons… En grognant, certes, mais sans regimber !
    – C’est comme si nous étions plus couards face à la vie que devant une compagnie de Goddons, dit Lebaudy tout en observant Sibille qui s’éloignait d’Alazaïs. Et je crois qu’elles le savent.
    – Je me demande, dit Paindorge, si avant nous, elles ont connu des gars. Oh ! Sans leur céder… Et si elles se disent…
    Il n’acheva pas. Tristan et Lebaudy acquiescèrent : ils avaient

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