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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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disparates ? Ne regardait-il pas les femmes, les belles femmes, avec une fugitive, pesante ou désespérante concupiscence ?
    – Es-tu heureux ? Il me plairait que tu me répondes.
    – Bah !
    – Mais encore ? insista Tristan.
    – Qu’est-ce que c’est que le bonheur, messire ? Bien manger sinon manger à sa faim. Galoper quand l’envie vous en prend… Avoir une femme dont on n’a point honte… Disposer d’un bon lit… Traire 219 deux ou trois coups par semaine…
    – Songes-tu au passé ?
    – Je ne l’appelle jamais. C’est lui qui accourt quand j’ai des enrageries.
    Tristan n’osa lui demander de quelle espèce.
    Le regard de Lemosquet semblait offrir un défi à sa tristesse soudaine. Leur silence suggérait à l’un comme à l’autre, au-delà des usages fastidieux, les inconvénients et les étonnements d’une existence dangereuse, ténébreuse, mais où la liberté ne cessait d’étinceler comme une lame.
    – Je n’ai jamais tant souhaité la paix qu’à la guerre.
    – Moi aussi, messire… Je crois que tout ce qui est atteint finit par nous navrer… Il m’advient d’avoir du regret de ces jours-là.
    Après un débat bref, intime, l’ancien soudoyer venait de vider son cœur. Il en fit autant de son hanap, se sécha les lèvres d’une paume de bourgeois, sans cal ni écorchure, et dit enfin :
    – Ben, je me sauve…
    Et cessant de marcher vers le seuil du tinel :
    – Paindorge est comme nous… Et Lebaudy… On a le front marqué par le sceau de la guerre. Nos femmes ne peuvent pas comprendre.
    – Mais nous, Yvain, pouvons-nous les comprendre ?
    Lemosquet eut un mouvement d’ignorance. Parce qu’il n’y avait, sans doute, pour l’un et pour l’autre, aucune réponse définitive.

 
VII
     
     
     
    La vie continua, marquée à la fin décembre par l’annonce de la mort de Pierre de la Jugie 220 . Tristan fut peiné par ce trépas : c’était grâce au prélat qu’il avait pu passer des jours sereins à Villerouge.
    Et les jours, les semaines et les mois s’enchaînèrent. Il fallait exister, éviter d’approfondir des situations qui eussent justement mérité qu’on s’y intéressât. Travailler aux champs, aux vignes avec les meschins et meschines, s’occuper d’un fils dont les suffocations désespéraient Maguelonne. Manger, boire, dormir. Sourire quand il semblait que ce fût nécessaire. Soigner les chevaux et les rassurer en paroles. Les emmener paître. Galoper sur l’un ou l’autre, souvent seul, parfois avec Paindorge et Lebaudy. Revenir au donjon et, dominant l’atrabile, adopter un ton enjoué pour échanger avec Maguelonne des propos inconsistants et ternes, bien qu’elle veillât sur tout en la demeure, les comptes y compris. Se dire qu’elle était toujours belle, désirable. L’imaginer « au temps de Villerouge ». Sortir dans la cour après la méridienne. Y revoir Paindorge et Lebaudy. Observer de plus en plus souvent d’un regard oblique Alazaïs et Sibille et se demander à quelles confidences elles se livraient auprès de Maguelonne qui refusait le repos de l’après-midi sous différents prétextes, et si celle-ci était encline à s’épancher. Regarder Hélie jouer avec les enfants. Ouïr Maguelonne, toujours attentive : «  Ne cours pas tant !… Viens te changer si tu as trop chaud… Ne salis pas ainsi tes mains dans la terre ! » Voir passer les femmes et filles des meschins. Brunes, blondes et une rousse. Bathilde Bressole, Jourdane Escrive, Massilia Boujols, Pétrone Moulinié, Obria Grésigne, Noëlie Galinié, Philippine Mauriès. Se dire quand l’une ou l’autre se retournait pour une œillade : « Passa que t’aï vist (411)  » et soupirer encore. Se répéter à soi-même : « Tu ne sais pas ce que tu veux » et se juger défavorablement une fois encore.
    La vie suivait son cours ailleurs qu’à Castelreng. Quelque lentes que fussent les informations en provenance de la Cour, l’une d’elles parvint assez tardivement à Tristan. Elle concernait un fait à propos duquel Charles V avait exigé le secret absolu, de sorte que des malebouches, peu après qu’il se fut produit, s’étaient empressées d’en répandre à Paris le substantiel et le superflu.
    – Il paraît, dit Paindorge, que le roi a un frère mains-né dont il ignorait tout.
    – D’où tiens-tu cela ?
    – D’un chevaucheur qui a fait halte ce matin à Limoux. Il allait à Carcassonne et cherchait un

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