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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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De son avant-bras, Tristan essuya son front soudainement embué. Personne, sauf Paindorge et lui, ne saurait rien de celle qui, devançant les desseins du maître de l’Aquitaine, leur avait sauvé la vie.
    – Le fils d’Édouard, Richard, va régner.
    – Si son aïeul y consent. Le vieux roi Édouard III vit encore. Ce deuil a dû l’emmaladir, mais point trop. Depuis que son fils avait épousé Jeanne, qu’il se réservait sans doute, leurs liens s’étaient dénoués.
    – Qu’ils fassent ce qu’ils voudront !
    – Et surtout, Robert, qu’ils nous laissent en paix.
    C’était un souhait sans consistance. Tant que les Anglais se maintiendraient dans leurs possessions françaises, la guerre continuerait.
    Tristan avait pensé : « Le roi Édouard est vieux. À quand son tour ? » Ce tour allait venir, lui annonça Lemosquet, de passage à Castelreng où il venait livrer une robe à Maguelonne absente : en compagnie de Paindorge et d’un meschin, Aristide Joulet, elle était allée quérir une génisse chez un métayer de La Bésole, à une demi-lieue.
    – Entre, Yvain, nous allons boire frais.
    Il faisait bon dans le tinel. Ni trop chaud ni trop froid. Août régnait sur les champs, les vignes, les villages. Les prés commençaient à se revêtir d’or et comme le Cougain, certains ruisseaux s’asséchaient. Depuis le début du printemps, le soleil se montrait d’une générosité extrême. Il avait fallu ombroier 216 au-dehors comme au-dedans. Maguelonne s’était fréquemment inquiétée pour Hélie. Il advenait qu’il suffoquât mauvaisement. Il allait s’allonger de lui-même et attendait, immobile, qu’un souffle égal lui revînt.
    – Quel âge ça lui fait ? demanda Lemosquet après avoir embrassé l’enfant.
    – Il va sur ses sept ans…
    – Il est solide.
    « Plus solide que les gars de Paindorge et de Lebaudy », songea Tristan en se reprochant ce mensonge.
    L’aîné de son écuyer, Tristan, savait manier fermement et vélocement une épée taillée à la haie. Yvain, le mains-né, en était encore incapable. Quant à Espaing, le fils Lebaudy, il semblait qu’il eût hérité de la langueur de Sibille. Aucun d’eux n’aratelait 217 quelle que fût sa lassitude. Allons, mieux valait parler, parler encore que de songer aux désagréments immérités d’une existence d’enfant.
    – Le vieux roi est donc mal, à ce que tu m’as dit ? C’était un guerrier. Je dirais même un preux si j’étais un Anglais.
    – Il s’en est fallu de peu que notre royaume lui revienne !
    – Je pense qu’il le méritait au détriment de ces Valois qui n’ont cessé de nous jeter dans la merde.
    – Édouard, lui, n’a cessé de les vaincre. Philippe le Sixième à l’Écluse et Crécy, Jean II à Poitiers et notre Charles çà et là.
    – On dira qu’il y a eu Cocherel. Or, j’y étais. Les Goddons ne formaient qu’un tout petit troupeau…
    – Nous allons donc bientôt avoir affaire à Richard II, dit Lemosquet après avoir vidé un hanap de vin tiré depuis peu de la cave. Paraît qu’il a dix ans.
    – _ Il ne manquera pas, autour de lui, de conseillers décidés à reprendre sur nous l’avantage. Ils vont vouloir merveiller l’enfant couronné 218  !
    – Croyez-vous qu’une guerre… complète va renaître ?
    Tristan considéra ce compagnon fidèle. Lemosquet devait être aussi las que lui des escarmouches et des batailles. Cependant, dit-il carrément, il advenait parfois qu’il en revécût certaines et que l’envie lui vînt de jeter un regard sur son harnois de guerre et ses armes. Était-il heureux auprès d’Antonia ? Heureux en tout ? Ne levait-il pas parfois la tête en soupirant très fort, un peu étourdi par le silence, l’inaction – l’inaction surtout -, lui qui vivait en ville ?
    L’ancien soudoyer considérait tout, autour de lui, avec une indifférence de plomb. Les meubles que Maguelonne frottait elle-même pour en aviver les lueurs ne l’intéressaient point. Il ne semblait voir que le hanap qu’on lui emplissait et l’ombre de celui-ci sur le plateau de la table. Une vie inutile ? Comment le savoir ? Imitait-il parfois, lorsqu’il ne se sentait point observé, les coups d’épée qu’il avait distribués ? Se mémorait-il les frayeurs qu’il avait éprouvées ? Son corps se souvenait-il toujours des pressions des mailles et des plates ? Ne trouvait-il pas, à l’entour de sa personne, les gens laids,

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