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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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société de personne. Il ne recherchait ni l’amitié ni l’affection comme tout esprit âpre et solitaire. Si, conjointement à ses desseins batailleurs, quelque autre pensée naissait dans son cerveau, c’était une certaine croyance abrupte qu’il fallait au royaume de France des hommes forts et aventureux pour manier les faibles, les incertains, les ovalitudinaires (417) , et que tous ceux-là se devaient de développer en eux, par des exercices appropriés, des puissances insoupçonnées d’eux-mêmes. Il exigeait de ses fidèles, parmi lesquels on trouvait des borgnes, des boiteux, des véroleux, cracheurs, tousseurs, chiasseurs et autres malades, un dévouement complet et une enragerie capable d’annihiler le peu de bonté de leur nature afin de franchir sans scrupule les obstacles du Bon et du Bien dressés devant eux lors des assauts et du sac des cités et châteaux conquis. À leurs cris victorieux faisaient écho des hurlements de détresse. Ses expériences – ou son talent de routier, pour autant qu’on pût ainsi nommer sa forcennerie – ne pouvaient avoir fait naître en lui des sentiments d’aménité pour quiconque n’était point à son goût. Peut-être, pour devenir cette machine à détruire, avait-il souffert, tout jeune, d’être laid. Peut-être s’était-il enragé d’avoir affaire à des enfançons forts et hardis qui l’avaient voulu courroucer, humilier afin d’en venir aux coups. Toutes les difficultés éprouvées par un jouvenceau orgueilleux avaient corrompu et plongé l’esprit de l’adulte dans la mauvaiseté, la présomption, le défi et la malivolance.
    – Il est apparemment sans cœur.
    – Vous dites : apparemment.
    –  Oui… Qui peut savoir, pas même le roi, ce qui se trame sous ce gros crâne et dans cette poitrine épaisse ?… Un cœur, c’est fait pour…
    –… aimer ? suggéra Belpech.
    – Sans doute.
    Ces observations sommaires établies, il n’était pas surprenant, songea Tristan, que personne n’eût rien su des sentiments que le Breton avait éprouvés pour sa Bretonne devineresse et pour celle qu’on appelait « la concubine » ou « la dame de Soria ». D’ailleurs, l’amour et l’insensibilité ne se pouvaient accointer. Bertrand n’avait pour passion que celle d’affirmer son règne sur quelque dix mille hommes consentants, souvent indociles, tous d’accord lorsqu’il s’agissait de meshaigner et d’occire des innocents. Détesté par le Saint-Père, béni et absous par Charles V, il « bretonnait » et ne s’en tenait qu’à cette tâche. Et miracle en quelque sorte inversé : plus il multipliait les violences, moins il se comptait d’ennemis. Il était le connétable. On ne pouvait dire de lui, comme de certains capitaines : «  C’est un guerrier dans l’âme  », car d’âme il n’avait point.
    Tristan se leva et voulut payer. Raoul de Belpech s’y opposa :
    – Permettez… J’ai eu moult plaisance à vous revoir et à échanger quelques idées avec vous. Comme chaque fois que je viens à Limoux, je vais aller prier en face. Voulez-vous m’y accompagner ?
    Un pan de l’église Saint-Martin s’offrait à leur vue. Les clartés du soleil glissaient sur les pentures d’un des vantaux de la grande porte. On apercevait, près d’une colonne, une hanche et une épaule de pierre.
    – Je connais cette église, messire. Je suis venu m’y marier.
    – Tiens donc !… Castelreng n’a point de chapelle ?
    – Si. Elle est même grande… Mais ce fût ma volonté.
    C’était dans la chapelle que Thoumelin, son père, avait épousé Aliénor. Il l’avait considérée, de ce fait, comme impropre à son union avec Maguelonne. Superstition ? Sans doute, mais il avait voulu qu’il en fût ainsi.
    – Vous vous ébaudiriez, messire, si je vous disais pourquoi je suis entré dans ce saint lieu mon épouse à mon bras. Lorsque je m’agenouille devant notre Seigneur, il advient que l’envie me prenne de l’admonester… Partout, hélas où le sang a coulé, je n’ai point senti Sa présence… Et je me demande si tous ceux qui entrent sous ces voûtes, même vous, Belpech, ont la foi chevillée au cœur.
    – Vous en doutez ?
    – Je m’interroge.
    Tristan s’exprimait avec une débonnaireté qu’il n’éprouvait guère. La piété lui semblait une denrée aussi rare que les melons en janvier. Il eut envie de présenter ses excuses à son vis-à-vis, assorties d’un « Séparons-nous

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