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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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avant que de nous irer l’un l’autre ».
    Or, il n’en ressentait point encore l’opportunité. Déjà, le seuil de Saint-Martin se couvrait d’une ombre pâle. Des passants se hâtaient, nullement pour entrer mais pour gagner leur logis de crainte, sans doute, d’une averse. Plusieurs regardaient la façade de la taverne sans être tentés d’aller s’y abreuver.
    – Y a-t-il moult chrétiens selon vous à Limoux ?
    Belpech eut un mouvement d’ignorance, une lippe d’incertitude, et sourit :
    – Je ne sais… La bourgeoisie et la Chevalerie, bien qu’en voie de décadence…
    – C’est vous, à juste raison, qui le dites !
    –… comptent des familles absolument chrétiennes ou qui sans doute feignent de l’être. Elles présentent une sévérité de mœurs, une austérité de vie et de principes qui s’affirment par une fidélité aux offices, une réserve dans la pratique des sacrements… Disons qu’elles sont fidèles à Dieu.
    Et derechef :
    – Croyez-vous que Guesclin est chrétien s’il commet çà et là tout ce qu’on raconte ?
    Tristan se demanda pour quel homme il passerait s’il répondait par la négative.
    – Le fait de se réjouir en cramant et meurtrissant des Juifs plaide en sa défaveur. Il advient qu’il se réfère à Jésus lorsqu’il se met à les détruire. Simon de Montfort en faisait autant. Et les gens du Nord l’ont pris pour un saint.
    Belpech eut un sursaut d’horreur sans en expliquer la nature.
    – Pour célébrer son terroir breton où la foi chrétienne était manifeste, Bertrand s’est esbigné… En procédant ainsi, plutôt que de se rapprocher de Dieu, il songeait déjà, certainement, à se rapprocher du trône. Pour se… sublimer, pour devenir le meilleur non point devant le Très-Haut mais devant le roi, il a commis tout ce qu’un apostat de sa trempe pouvait se permettre. Il a donné le grand frisson au roi Charles. Les gens couards et de faible constitution ont un penchant pour les malandrins solides.
    Belpech se leva. Indécis, il contempla son gobelet désempli et les piécettes dont il parsemait le tour.
    – Il faudra nous revoir, Castelreng. Vous avez envie de vider votre besace. Vous avez souffert, ça se voit… Ça se conçoit… Voyez-vous, j’ai toujours fait en sorte d’éviter l’ost… Il faudra que j’y entre… pour me faire une opinion.
    Malgré sa belle suffisance, Belpech aurait eu moins de témérité s’il s’était soudain trouvé à Montiel, Nâjera ou Cocherel. Guerroyer lui semblait soudain une fonction naturelle, du moins le privilège de tout prud’homme enchanté d’avoir fourbi ses fesses sur une selle de joute ou de tournoi.
    « Il m’a invité à Mazères pour me buquer de prime face… Il mériterait que j’y aille ! »
    – À nous revoir, Castelreng.
    – À nous revoir, messire.
    Pour l’un comme pour l’autre, c’était moins une séparation qu’une fuite.
    « Qu’ai-je fait ? » se demanda Tristan. « Il était pâle de decevement 240 . Me serais-je mal conduit ? »
    Il en doutait. Une sorte d’angoisse lui serrait la gorge.
    Avant même qu’il ne s’y fût engagé, la voie étroite et longue qui le mènerait à Castelreng lui fit l’effet d’une épreuve nouvelle qu’il lui faudrait lentement affronter. C’était étrange comme cette paix à laquelle Belpech avait fait allusion lui semblait lointaine, confuse et pour tout dire impossible. Dehors, les gens passaient, indifférents et comme insensibles à tout ce qui n’était pas leurs membres, leurs organes, leur méditation… La paix l… Il fallait être fou pour croire à sa présence future… Un fantôme, elle aussi. Et puis, ces manants méritaient-ils cette paix ? Il savait, lui, ce qu’était une guerre. Il ignorait tout de son contraire. Ces deux formes de vie ne se pouvaient concilier après des siècles de discordes.
    Il salua le tavernier ébahi par sa rupture avec Belpech et fut dehors au moment où le gêneur disparaissait dans l’église.
    « Un chevalier sans guerre ! Autant dire un taureau sans cornes… Sans cornes ?… Il se peut, s’il est marié, qu’il en porte d’invisibles. »
    Cette conversation maussade avait instillé dans son cœur une dose sans doute imméritée d’atrabile.
    « Est-ce qu’elle me manque ? »
    Non, la guerre ne lui faisait point défaut. Ni l’ost. Ni les chevauchées recréantes 241 ni les batailles à corps perdu. Rien de cela ne pouvait lui

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