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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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père putatif du damoiseau l’avait certainement élevé comme un futur chevalier. Il lui avait donné la vigueur et la santé et attendu l’âge et la saison propice pour certainement le présenter en la Cour. Très naïvement, ils avaient cru l’un et l’autre à une destinée dorée jusqu’à ce que la mort anéantît leurs desseins. « Tu es jeune, beau et fort », avait dû répéter le chevalier sans nom – hélas ! – à l’adolescent docile. Désormais, cette précocité physique et cette énergie de l’esprit forgée jour après jour dans le dessein d’être admirées pourrissaient en prison.
    – Voyez, dans la cour, comme ils s’en donnent !
    Hélie jouait au soleil en compagnie d’Yvain.
    « Heureusement que je suis là. Il faut qu’il devienne un homme. »
    Comment eût-il pu le devenir, songea Tristan, autrement que grâce à lui ? Il était son père et son guide et s’il lui mesurait parfois sa tendresse, c’était dans l’intérêt de l’enfant. Il ne se sentait point un monstre de rigueur. Au contraire. Hélie était un objet précieux dont il fallait transmuter la fragilité en force. Les soins maternels lui étaient nécessaires, mais point trop n’en fallait.
    – À qui pensez-vous ? se permit Paindorge.
    – À mon fils.
    – Il pousse bien… Oh ! Certes, je connais votre souci, mais il pousse bien, je vous dis.
    Chez Paindorge, des sentiments refoulés où l’inquiétude prévalait réapparaissaient avec force. Tristan se sentit auprès de son ancien écuyer en grand état de connivence.
    – Je te sais bon gré, Robert, de tes dires. Vois-tu, je voudrais qu’Hélie soit comme nous… tout en ne nous ressemblant pas.
    Paindorge vida son gobelet et fit la grimace. L’hydromel, c’était bon frais, or, le temps passant, la boisson s’était attiédie. Ensemble, le chevalier et l’ami de toujours observèrent Hélie. L’enfant maniait son épée de bois comme il convenait qu’on le fît. De stature élancée, il y avait dans ses mouvements de la grâce et de l’énergie. « Des traits nobles », songea Tristan, et sous son teint quelque peu blafard et le camail de ses cheveux sombres – qu’il faudrait bientôt couper à l’écuelle en dépit des protestations de Maguelonne -, une expression de virilité juvénile.
    – Il sera chevalier, murmura Paindorge sans le moindre désir de complaisance.
    – Qui sait, Robert, dans la mesure où tu dis vrai, si ton Yvain ne sera pas un jour son écuyer fidèle !

 
VIII
     
     
     
    L’année 1376 s’acheva. La suivante roula son flot de jours semblables à ceux de la précédente. Excepté le souci provoqué par les suffocations d’Hélie, peu nombreuses mais, semblait-il, plus violentes – encore que, selon Maguelonne, cette aggravation ne fût point prouvée -, les huit premiers mois ne furent marqués, à Castelreng, par aucun événement déplaisant.
    « Nous vivons », songeait Tristan.
    Cette sorte d’innocence pesait bon poids. Il eût aimé pouvoir se refuser de penser. Il n’en avait pas la force. Vivait-il heureux en l’ignorant ? Avait-il été heureux ? Tout inventaire impliquait chez lui, comme peut-être chez ses compères, une part de désespérance. Entre les desseins et les réalités, combien de déceptions sinon de faillites ? Qui pouvait, lors d’une halte d’un esprit en continuel mouvement, se montrer satisfait de ce qu’il était et de ce qu’il devenait ? Il avait éprouvé des joies impérissables. Fort peu. Il avait enduré des tristesses qui suppuraient encore. Y avait-il autour de lui des gens qui échappaient à toute sorte de méditation ? Des êtres sans conscience ? Existait-il des mariages parfaits ? Des couples liés par un mortier solide ? En découvrant Maguelonne à Villerouge, il s’était dit qu’ils s’étaient élevés seuls, l’un et l’autre, dans l’idée du bonheur conjugal. Encouragée par la solitude de leurs âmes, l’attraction de leurs corps les avait exaltés, sortis de leurs ténèbres pour franchir le seuil d’un monde imaginaire où tout serait beau, bon et clair. La communion des cœurs était-elle un leurre puisque l’union des corps, son corollaire, devenait, au fil du temps, une affaire vide de… sens ?
    À la fin de septembre, sur le marché de Limoux, Tristan fut abordé par Raoul de Belpech. Bien qu’il ne prisât guère ce prud’homme, il accepta d’aller vider un gobelet d’hypocras à la Bonne Truite.

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