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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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jours : Paindorge, Lebaudy, mon frère Jean qui pourrit en Espagne comme Ogier d’Argouges… Petiton, Eudes, Lionel… Juan Serrano et sa guiterne… Et ces deux petits que nous n’avons pas su préserver : Simon et Teresa…
    – Toi aussi !
    – Hé oui, moi aussi… Il m’est arrivé de penser à eux avec douleur… Et parce que je passais devant, je suis entré pour prier à Notre-Dame de Marceille… Oui, moi !… Prier pour ces deux petits Juifs.
    – Qu’en pense Antonia ?
    Lemosquet balaya cette question d’un geste :
    – Elle ne sait rien… Elle n’a pas besoin de savoir. Quand je suis doulousé, je vide un gobelet… Si c’est insuffisant, je sèche un hanap.
    « Je n’en suis pas là », songea Tristan, « mais je sens que je vais y venir. Parfois, je ne sais plus en quelle année nous sommes ! »
    Et observant avec un plaisir mêlé de pitié son ancien soudoyer :
    – Sais-tu pourquoi tant d’hommes comme nous s’accommodent d’une vie de sang et de larmes ?
    – Non.
    – Pourquoi, en vérité, ils y trouvent leur bonheur ?
    – Non.
    – Parce qu’elle leur évite de penser… Il faudrait décerveler les hommes.
    – Holà !
    – Nous ne savons jamais complètement ce que nous voulons. Peut-être sommes-nous les esclaves de je ne sais qui ou quoi… Pas du roi ni de nos capitaines, encore moins d’un connétable… Esclaves de nous-mêmes, sans doute, nous faisons le nécessaire, pendant des années, pour empoigner bellement des armes et du même coup pour ne pas voir, sentir et ouïr ce qui est notre conscience. Nous sommes des gens haustres (418) et obéissants… Mais obéissants aux autres, pas à nous-mêmes.
    – C’est possible, dit Lemosquet mollement.
    Il reprit son balai comme pour se soutenir d’une fatigue imprévue.
    – Nous rions de nos préjugés jusqu’à ce qu’ils nous étranglent, poursuivit Tristan. De notre religiosité jusqu’à ce qu’elle nous devienne insupportable, aussi pesante que ces armures de fer auxquelles nous tenons tant et que nous contemplons, quand nous sommes seuls, comme de transcendantes reliques.
    – C’est vrai… Je fourbis toujours mon harnois et mon épée.
    – Nous avons aussi peur de nous-mêmes que des autres… La guerre nous semble moins surhumaine que les escarmouches qui nous sont désormais livrées par tout ce qui compose les contours de notre vie.
    Peut-être en avait-il trop dit, mais il était lancé. L’important était qu’il se vidât de ses quérimonies secrètes et de sa bile. Lemosquet ne souriait point. Il savait qu’il entendait une vérité et que celle-ci corroborait la sienne. Il tenait son balai le chiendent en l’air comme il eût tenu un vouge ou une guisarme.
    – On est malades de l’âme, dit-il. C’est vrai que je grossis et que j’en suis marri. Je sais qu’il n’y a qu’une façon pour que je perde ma graisse et recouvre la santé.
    – Je sais, moi aussi, quel remède nous fait défaut… Je sais également que si nous en disposions pour l’absorber un jour – c’est façon de parler -, il deviendrait notre élixir en même temps que le poison de nos femmes.
    C’était bien dit et bien pensé : Lemosquet acquiesça.
    – Si nous y retournions, dit-il, je suis sûr que nous le regretterions et qu’au bout de trois jours…
    Il s’interrompit. Tristan piéta lentement vers l’écurie. Lemosquet avait renoncé à l’y accompagner. Il avait raison. Ils avaient raison. Jamais ils n’avaient honni les Anglais et les Navarrais aussi fréquemment, aussi durement qu’ils détestaient leur propre existence.
    *
    Dans l’intention de revoir, s’il le pouvait, Raoul de Belpech pour s’excuser de sa rudesse verbale et le questionner sur les joutes de Mazères, Tristan repassa, au pas lent d’Alcazar, devant l’église Saint-Martin. Des Limouxins y entraient. Il reconnut un joaillier et sa fille, un changeur, seul ; un giponnier et son épouse – des concurrents d’Antonia – et quelques autres bourgeois et bourgeoises. Bien que ce ne fût point fête et qu’on se trouvât en semaine, tous allaient, endimanchés, se décharger ou se rafraîchir l’âme. Aucun manant ne les précédait ni ne les suivait. C’était à croire que le saint lieu leur était interdit.
    « Tous se signent avant même de s’engager sous le porche et de franchir le grand portail ! »
    Duperie que ce geste ? Nul doute que la plupart de ces favorisés éprouvaient envers

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