Les turbulences d'une grande famille
appels à la « solidarité humaine », les gogoss'émerveillaient des miracles de l'électricité dont bénéficiaient quelques demeures privilégiées et le métropolitain accueillait ses premiers voyageurs pour de grondants parcours souterrains.
Cet optimisme de commande n'empêchait pas le travail néfaste des ennemis de la tradition, de la religion et de la dignité. Depuis la condamnation de Paul Deroulède, celle d'André Buffet, chef du parti royaliste, et celle de Lure de Saluce, son adjoint, il était clair que le pouvoir cherchait à anesthésier le pays sous les flonflons et le clinquant des fêtes républicaines. Le moment semblait venu de réagir, non plus par un coup d'éclat, mais subrepticement, légalement, dans le cadre des lois en vigueur. Il y avait quelque temps déjà qu'Amicie soutenait financièrement la nouvelle Ligue des patriotes, animée par Gabriel Syveton. Par l'entremise de cet ancien universitaire, dont l'ambition se doublait d'un nationalisme fanatique, elle avait fait parvenir plusieurs millions de francs, prélevés sur ses revenus, dans les caisses de la Ligue, qui n'était que tolérée par la police. Si quelque magistrat fureteur s'avisait d'ordonner une enquête sur les agissements deMme veuve Jules Lebaudy, elle risquait fort d'être compromise pour encouragement pécuniaire à des entreprises factieuses et de comparaître, à ce titre, devant la Haute Cour, aux côtés des proches de Déroulède. En vérité, au degré d'exaspération où elle était arrivée, une telle menace ne l'effrayait pas. Elle eût même considéré comme un honneur d'être associée à un responsable de la Ligue des patriotes et d'être jugée, en même temps que lui, par les valets de VUaldeck-Rousseau. Mais ses craintes se révélèrent vaines. Son nom ne fut jamais prononcé lors des audiences successives et les poursuites contre la Ligue s'enlisèrent dans la paperasse. Bien mieux, l'affaire Dreyfus rebondit soudain vers une conclusion inattendue. Après qu'un nouveau conseil de guerre, désigné pour la révision de la condamnation du capitaine espion, eut reconnu, au grand dam des dreyfusards, le bien-fondé du premier verdict, les gens de gauche n'imaginèrent plus d'autre riposte qu'un regain de protestations verbales. Ils furent malheureusement soutenus dans leurs reproches par la presse étrangère, enchantée de vilipender la justice militairede la France. Du coup, Waldeck-Rousseau fut pris de tremblote. Avait-il perdu confiance en la légitimité de sa cause pour cela seulement qu'on le critiquait à Saint-Pétersbourg, à Londres, à Vienne ou à Berlin ? Non content d'avoir obtenu qu'on bannît un grand Français comme Paul Déroulède, voici qu'il se disait prêt à insister auprès du président de la République pour que celui-ci amnistiât le traître Dreyfus. Cette palinodie révoltait Amicie plus encore que ne l'eût fait une franche attaque. Excessive en tout, elle avait autant besoin d'admirer que de détester. Pour elle, le pire défaut, chez l'homme comme chez la femme, c'était la tiédeur.
Le 31 décembre 1899, dernier jour du siècle, elle fut brusquement saisie du besoin de justifier, aux yeux de ses contemporains par trop sceptiques, son évolution de l'abondance matérielle à l'austérité, à la charité et au patriotisme moralisateur. Résolue à la franchise, elle dicta à un secrétaire une sorte de plaidoyer pro domo : « Depuis 1888, disait-elle, j'ai quitté M. Jules Lebaudy, son domicile et son nom, toute participation directe ou indirecte à sa fortune ; j'ai quitté Paris, cessé la vie mondaine ; j'ai vécu de ressourcesrigoureusement personnelles, ceci au vu et au su du public pendant sept ans, à telles enseignes qu'après enquête et contre-enquête on a exploité odieusement la simplicité de ma vie en rapport avec mes ressources pour me faire, en 1893, par la voie de la presse, une fabuleuse réputation d'avarice et me ridiculiser. Je n'ai annoncé à personne le décès de M. Jules Lebaudy, je n'ai point envoyé de billet de faire-part ; je n'en ai même pas envoyé à la mort de mon malheureux fils : j'ai refusé, par ministère d'huissier, de figurer dans ceux de la famille (Le Gau lois, septembre 1892). Je n'ai jamais ouvert la bouche sur la succession de M. Lebaudy, j'ai écarté sèchement les allusions qu'on a cherché à y faire ; mon genre de vie a continué après exactement ce qu'il était avant ; mon nom n'a jamais figuré sur
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