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Les turbulences d'une grande famille

Les turbulences d'une grande famille

Titel: Les turbulences d'une grande famille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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échapper, pour quelques semaines, à l'agitation de la capitale. Il lui paraissait d'autant plus nécessaire de prendre des vacances qu'elle avait dépensé beaucoup d'argent pour alimenter le budget de la ligue de la Patrie française et qu'elle avait besoin à la fois de réparer ses forces et de « faire relâche financièrement ». Elle eût voulu se mettre en route aussitôt. Mais son notaire personnel, M e Lanquest, avait été compromis dans l'escroquerie de Thérèse Humbert, dont la presse se gargarisait. Certes, le brave tabellion n'était pour rien dans cette sordide intrigue de faux et de captation autour d'un héritage imaginaire. Seulement, il avait le tort d'être l'homme de confiance des princes d'Orléans. Il n'en fallait pas plus pour que le Garde des Sceaux le soupçonnât des pires vilenies. Par chance, la Chambre des notaires s'étant portée garante de l'intégrité de M e Lanquest, Amicie put enfin partir, sans inquiétude et sans scrupule, vers les contréesméditerranéennes où elle avait choisi de s'étourdir.
    Cependant, même loin de la France, elle continuait à craindre les abus de pouvoir d'un ministère acharné à la perte des honnêtes citoyens. Cette obsession lui gâchait les plaisirs du voyage. En retrouvant la rue d'Amsterdam, au mois de mars 1903, elle rapportait de son expédition le souvenir de quelques beaux paysages, de quelques monuments remarquables et d'une hantise politique qui l'avait poursuivie jusque devant les pyramides d'Égypte. Dès son retour, elle constata qu'une guerre sans merci s'était engagée entre le gouvernement et les défenseurs des congrégations catholiques. Fidèle à ses convictions destructrices, le « bloc républicain » des socialistes et des radicaux s'efforçait de décourager toute propagande religieuse et le nouveau président du Conseil, Émile Combes, un ancien séminariste passé à l'anticléricalisme militant, imposait par décret la fermeture de plus de deux mille écoles confessionnelles en France. Devant cette offensive de la laïcité, Amicie se porta, une fois de plus, volontaire pour aider Syveton et ses disciples, au nom de Dieu et de lapatrie bafoués. Elle eût voulu que le pape Léon XIII excommuniât tous les républicains. Mais, trop prudent pour braver la clique des politiciens de gauche, le Saint-Père se contentait de prêcher le ralliement des âmes pieuses aux lois de la République tout en leur recommandant de respecter la loi du Seigneur. Sa seule excuse était son âge : il allait sur ses quatre-vingt-treize ans ! Quand il mourut, le 20 juillet 1903, Amicie n'eut pas l'hypocrisie de verser des larmes sur sa disparition. Elle lui gardait une rancune si tenace qu'il lui arrivait même de le traiter, dans l'intimité, d'« Antéchrist ».
    Ce faisant, elle pensait à son frère, Jacques Piou, qui perdait là un des plus fameux défenseurs de son programme politique. La belle affaire ! Un jour, il finirait par comprendre qu'il se fourvoyait en préconisant une solution moyenne, alors que, pour sauver la France, il aurait pu, depuis le début, rejoindre sa sœur sous la bannière des vrais patriotes. D'un autre côté, elle savait, par des on-dit persistants, que ses fils continuaient d'afficher en public des opinions foncièrement réactionnaires. C'était un bon point, assurément ! Au fait, ne devrait-elle pas s'arrangerpour les revoir ? Mais elle craignait d'être mal reçue par eux, en raison de son hostilité passée à l'égard de leur père. Sans doute n'éprouvaient-ils pas plus qu'elle l'envie d'une rencontre. Mis en présence de leur mère, ils n'auraient rien à lui dire. Et elle-même se demanderait ce qu'elle était venue chercher auprès d'eux. Tout les séparait : l'âge, les habitudes, les souvenirs, la philosophie, le comportement quotidien. L'expérience avait enseigné à Amicie que les êtres les plus proches d'elle étaient ceux qu'elle avait librement choisis et non ceux qui lui avaient été donnés par la nature. Si, pour certaines femmes, l'instinct maternel, dans sa spontanéité et son animalité, était une évidence à la fois physique et spirituelle, elle n'y décelait, pour sa part, qu'une aimable convention destinée à assurer le statu quo de la famille. La sienne étant disloquée depuis des dizaines d'années, elle n'imaginait pas la nécessité de se pencher sur des ruines. Moins ses fils auraient besoin d'elle pour organiser leur existence et plus elle pourrait

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