Les valets du roi
distraire.
— Installez-vous où il vous plaira, indiqua-t-il en désignant la salle trop vide d’un ample mouvement circulaire de la main. La saison est calme et vous devrez vous contenter de notre ordinaire. Une soupe de lard et de pois cassés, deux cailles en croûte de sel, assorties de pommes au miel, et une tarte à la rhubarbe en dessert.
— Cela suffira, déclara Emma en choisissant une table qui lui permettait de surveiller l’intérieur tout entier.
Elle le trouva propre et coquet. Des bouquets champêtres odorants ornaient les tables.
Une fillette sortit en riant des cuisines et vint se frotter aux jambes de son père, comme une jeune chatte. Niklaus discutait avec un habitué planté à côté de la cuisine, déjà ivre. Niklaus en avait assez de ses réflexions de soûlot, mais c’était un vétéran et à ce titre il le respectait. L’homme était le seul à Breda qui leur soit resté fidèle. L’abus d’alcool abîmait tout. De l’intrépide soldat d’hier ne restait plus qu’une loque errante, titubant du soir au matin, se nourrissant de la générosité des autres. Il demeurait parfois des jours entiers aux Trois Fers à cheval. Niklaus tentait de le faire réagir en lui donnant de menus travaux à faire pour payer une note qu’il avait depuis longtemps cessé de réclamer. Mary avait réagi de même. Ils n’étaient pas à cela près !
Emma, le jugeant d’emblée peu dangereux, se concentra sur la fillette.
— Ze veux pas aller au lit, implorait-elle avec une moue séductrice. Ze veux aider Milia à servir la dame.
Niklaus l’enleva dans ses bras.
— Et tout renverser ? Tu es trop petite, mon ange.
— Ze ferai attention. S’il te plaît, insista-t-elle enjoignant ses petites mains, battant des paupières.
Emma la trouva parfaitement attendrissante. Niklaus était visiblement sous le charme de ce petit despote féminin. Il argumenta encore pourtant.
— La dame ne veut pas être dérangée.
Emma jugea plaisant de le contrarier.
— Laissez, dit-elle. J’adore les enfants.
Niklaus tenta de forcer le regard sous la voilette, puis lâcha la fillette, qui se débattait pour descendre, un sourire victorieux aux lèvres.
— Si elle vous importune, n’hésitez pas à la renvoyer. Ann Mary adore s’imposer.
Emma hocha la tête tandis que l’enfant se précipitait vers elle et lui offrait une jolie révérence.
— N’embête pas la dame, chipie, déclara une voix féminine.
Emma s’attarda sur la fille qui s’avançait vers sa table, un franc sourire aux lèvres, pour y poser un plat en terre cuite.
— Papa a dit oui ! affirma Ann en mettant ses petits poings sur ses hanches. Pas vrai, papa ?
Niklaus adressa un signe de tête à Milia qui soupira. Son patron avait tort de lui passer tous ses caprices. Mary grognerait à son retour.
— Tu sais que maman n’aime pas, lâcha-t-elle pour culpabiliser l’enfant et la forcer à plus de modération.
— Oui, mais c’est papa qui commande, décréta Ann, assortissant cette tirade d’un regard incendiaire.
— Excusez-la. Sa mère est absente et la petite s’en languit.
— Vraiment ? tiqua Emma.
Cette nouvelle renversait le cours de ses projets.
— Quand revient-elle ? demanda-t-elle, acceptant la présence de l’enfant qui, d’autorité, avait entrepris de se coller contre elle pour narguer sa gouvernante.
Emma lui caressa les cheveux. Ils étaient plus foncés que ceux de Mary mais tout aussi bouclés. Elle y retrouva d’instinct le même plaisir.
— Nous l’ignorons, avoua Milia. Et c’est bien cela le plus difficile. Les enfants ont besoin de concret. Je vous souhaite un bon appétit. Ann Mary restera à sa place si vous l’y contraignez.
Emma n’en avait aucune envie. Elle ne pouvait demeurer indéfiniment ici avec ses hommes sans se faire remarquer. Elle devait en apprendre davantage sur le motif de cette absence. Ann Mary serait facile à interroger. Elle s’accorda les faveurs de l’enfant en la laissant jouer avec son éventail, ne touchant son souper, pourtant délicieux, que du bout des lèvres. Elle n’avait faim que de vengeance.
Ann escalada le banc et s’assit à ses côtés.
— Ça fait longtemps que ta maman est partie ? demanda Emma en baissant la voix pour ne pas attirer l’attention de Niklaus, occupé à traîner le vétéran jusqu’à l’escalier.
Ann Mary, se montrant flattée de l’intérêt de la dame, s’empressa très vite de
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