Les valets du roi
air permanent de conspirateurs, surtout en présence de Milia, changeant de sujet de conversation à son approche. Junior lui avait même lâché un laconique : « Un jour, quand tu seras grande, on te le dira ! » qui avait bien amusé les trois adultes. D’autant plus que Milia s’était finalement résolue à les suivre. Elle était trop attachée aux enfants.
« Qui s’occupera d’eux sur un navire ? Ils sont bien capables de tomber à l’eau, et vous aurez assez à faire vous-même », avait-elle dit, un soir, après dîner.
La vérité était que Milia n’avait rien connu d’autre que les Trois Fers à cheval depuis ses quatorze ans. Elle ne s’imaginait pas travailler ailleurs. Le métier de nourrice lui plaisait mieux que celui de putain, et ce trésor dont on lui consentait une partie était sans nul doute l’unique chance de sa vie de voir s’ouvrir un avenir meilleur. Seule la peur de l’inconnu l’avait fait hésiter. La confiance réciproque des époux, leurs faits d’armes communs et leur enthousiasme avaient eu raison finalement de ses angoisses. Elle avait seulement demandé à ce que cela reste une surprise pour les enfants. Milia s’amusait trop, tout comme leurs parents, de les voir s’inventer une importance à la hauteur de leurs aspirations. Malgré leur petit âge, ils étaient plus vifs et rusés que des renardeaux.
Mary s’apprêtait donc à sa tournée de quelques jours, une bourse rebondie attachée à sa ceinture pour payer leurs haltes de nuit et leur mangeaille. Elle avait repris une allure garçonne, certaine qu’elle attirerait moins la convoitise des maraudeurs. Cela lui permettait en outre de porter son sabre à la taille et un pistolet à la ceinture. Même si Junior, entre ses jambes, les dissimulait un peu, elle savait qu’on les devinait assez pour ne pas lui chercher querelle. C’était souvent suffisant si l’on se contentait d’emprunter les chemins fréquentés aux heures d’affluence.
Junior avait obtenu de conserver le poignard de son père et s’en trouvait fier. Il lui faisait l’effet d’une épée, et Niklaus lui avait confectionné un ceinturon sur lequel il avait pu accrocher le fourreau qu’il avait martelé. Désormais, où qu’il aille, de la cour des poules aux écuries, des communs aux chambres, de l’enceinte de l’auberge aux champs qui la cernaient jusqu’en lisière de forêt ou sur la grand-route de Breda, à pied ou monté sur l’âne qu’avait dressé Niklaus, où qu’il aille vraiment, Junior redressait les épaules, portait loin son regard conquérant et gardait une main sur le pommeau de sa précieuse arme.
Pour qu’il ne puisse se blesser, Niklaus lui avait enseigné son maniement et Mary dut avouer que l’enfançon s’avérait étonnamment doué. Plus encore qu’elle ne l’avait été. Le maître d’armes de lady Read aurait été émerveillé par un élève de cette trempe.
Mary avait le cœur et l’âme en paix.
Le silence de Corneille n’y était pas étranger. Il lui enlevait ce doute qui parfois venait la hanter. Il avait été un ami, un amant et un compagnon précieux. Trop de temps avait passé et, bien que sa conscience lui ait dicté cette lettre, elle se sentait soulagée de n’avoir pas à imposer à Niklaus la gêne de leurs retrouvailles. Son Flamand était bien trop jaloux pour accepter de la partager. Mary n’avait eu qu’à voir sa mine le jour où elle lui avait parlé de Corneille, n’omettant rien de leur ancienne complicité, soucieuse d’offrir à Niklaus, avec le gage d’une vie nouvelle, une honnêteté tant d’autres fois bafouée.
Ces deux-là n’auraient pu s’entendre.
Elle était donc en accord désormais avec elle-même. Elle avait fait ce qu’elle devait. Quelles que fussent les raisons pour lesquelles Corneille n’avait pas répondu trois mois après, elle pouvait enfin se laver de son souvenir comme elle s’était détournée depuis longtemps de Claude de Forbin.
Quant aux époux Read, détenteurs du second œil, de la carte ou peut-être même du trésor récupéré, ils seraient les premiers vers lesquels leur expédition se dirigerait.
La douceur et la tendresse de Niklaus avaient émoussé la haine qu’elle avait eue pour son oncle, et la méfiance qu’elle avait éprouvée pour Emma. Ils n’étaient désormais plus qu’un obstacle sur sa route entre la fortune et sa destinée.
Mary avait vieilli. Et cette sagesse rendait son envie de
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