Les valets du roi
gobelet d’étain. Elle le vida à deux reprises, espérant chasser d’elle ces frissons qui perduraient.
Elle se rapprocha de la fenêtre ouverte et écarta les rideaux. L’aube était proche et la pénombre cohabitait encore avec un mordoré en provenance du levant.
Le ciel était clair, la saison douce.
Une chouette hulula. Bientôt, les coqs répondraient.
Elle songea à Niklaus et à Ann. Le manque d’eux lui broya le ventre. Cela la fit sourire. « Tu es stupide ! se dit-elle. Leur absence te joue des tours, là est ton mal-être. Demain ! »
Recouvrant d’un coup sa sérénité, elle se recoucha, sans pouvoir se rendormir, s’occupant l’esprit avec l’organisation de leur déménagement qui désormais devenait concret.
C’est en pénétrant dans la cour de l’auberge que le malaise revint, brutalement. Au point de tuer sa voix qui chantait avec Junior, sa miniature coincée entre les genoux. Toby hurlait dans la maison.
Ce n’était pas inhabituel. Cela n’aurait pas dû l’alarmer.
Elle descendit pourtant de cheval et chargea Junior de le mener à l’écurie, réalisant soudain ce qui la troublait. Le silence. Le silence tout autour de Toby qui hurlait.
— Restes-y caché, ordonna-t-elle à Junior, retrouvant d’instinct ce réflexe de soldat aux aguets.
— Pourquoi ? demanda l’enfant, pressé de rejoindre sa sœur, s’étonnant déjà qu’elle ne se soit pas précipitée à sa rencontre.
— Fais ce que je te dis, insista Mary, assortissant son ordre d’un œil menaçant.
Gagné par son inquiétude, Junior dégaina son poignard, serra les dents et hocha la tête. Mary s’assura d’un regard alentour que tout semblait normal, les poules dans la basse-cour, les chevaux à l’écurie. La vie était partout, étouffée cependant par un calme qu’elle n’aima pas.
Elle pénétra dans la bâtisse par la porte entrouverte. L’odeur aigre du sang la saisit dès le vestibule, accélérant les battements de son cœur. Déjà elle savait. Elle eut pourtant le sentiment que son être tout entier se révulsait.
Elle se précipita vers cette image, insupportable, inconcevable, qui l’écartela. Vers ce corps tant aimé, attaché à un pilier, la tête renversée sur la poitrine. Son sabre qu’elle avait dégainé chuta à terre dans un bruit clinquant.
— Niklaus ! appela-t-elle comme si la vue de ce poignard qui épinglait une lettre sur son cœur ne pouvait pas suffire à sa vérité.
Elle lui releva la tête et hurla. Hurla de celle qui la narguait par le trou béant fiché entre les deux yeux vides de son époux.
— Maman ! cria Junior, qui venait d’entrer, désobéissant aux ordres qu’on lui avait donnés, fort d’un courage sans limites.
Il trouva sa mère agenouillée aux pieds de son père, serrant dans sa main la missive qu’elle venait d’arracher de la poitrine de Niklaus. Cette dernière signait son malheur, n’étant autre que le verso de la lettre envoyée à Corneille.
Junior courut jusqu’à eux, abandonnant courage et épée pour s’écrouler en pleurant à leurs côtés. Puis soudain, se souvenant de ce qui l’avait fait quitter son poste, il releva la tête.
— Ann ! Ann ! Où tu es ? se mit-il à vociférer, prêt déjà à partir à sa recherche.
Mary l’arrêta pour le serrer plus fort dans ses bras.
— C’est inutile, Junior, ils l’ont emmenée, dit-elle, sentant revenir en elle toute la colère que sa souffrance avait occultée.
Une odeur de vengeance se mêla à celle du sang caillé, une vengeance qui serait sans pitié.
— Qui, maman ? demanda Junior, affolé. Qui ?
Mary ne répondit pas, pressant plus fort dans son poing ce maudit billet.
L’œil de jade contre ta fille, y avait inscrit Emma avec le propre sang de Niklaus. Ce 31 décembre, à l’hôtel de la Salamandre à Paris. Rue de l’Hirondelle. Sang contre sang, Mary. Désormais, tu sais le mal que cela fait !
Oui, Mary savait.
Sa guerre venait de commencer.
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