Les voyages interdits
assiégeaient cette ville,
les Mongols ont capturé, je ne sais trop où, un troupeau de chameaux. Après les
avoir chargés de ballots d’herbe sèche, ils y ont mis le feu et ont ensuite
chassé ces pauvres bêtes à coups de pied à travers les rues de la cité. Leur
pelage se consumant, ainsi que le gras de leurs bosses, ces chameaux éperdus
d’agonie ont erré comme fous, et nul n’a pu les rattraper. Ils ont donc
caracolé du haut en bas de nos rues, incendiant un peu tout à Bagdad, avant que
le feu eût atteint leurs organes vitaux, qu’ils se furent effondrés et
moururent.
— À moins que..., lança le shah à notre
intention, profitant d’un répit durant lequel sa femme reprenait sa
respiration, ... vous n’écourtiez grandement votre voyage en passant par la mer.
Vous pourriez, en partant d’ici, vous diriger au sud-est, jusqu’à Bassora, ou
même plus au sud dans le golfe, jusqu’à Ormuz, et embarquer là sur un navire en
partance pour l’Inde.
— À Ormuz, reprit la shahryar Zahd, les hommes
n’ont plus, à leur main droite, que le pouce et les deux doigts extérieurs.
Laissez-moi vous expliquer pourquoi. La ville est depuis toujours un port
puissant et soucieux de son indépendance. Aussi tous ses habitants mâles
ont-ils été élevés et entraînés, dès leur plus jeune âge, à devenir de
redoutables archers destinés à défendre leur cité. Quand les Mongols de Hulagu
mirent le siège sous leurs murailles, l’ilkhan fit une offre aux anciens en
charge de la cité. Il leur promit de respecter l’indépendance de leur commune,
de ne pas la détruire et d’épargner ses archers, à condition que ceux-ci lui
fussent prêtés jusqu’à ce qu’il réussît à s’emparer de Bagdad. La chose
faite, affirma-t-il, il laisserait les hommes rentrer à Ormuz afin de continuer
à en assurer la loyale défense. Les anciens ayant accepté la proposition, tous
ces hommes, quelle que fût leur répugnance à obéir, se joignirent à Hulagu dans
son siège de notre Bagdad bien-aimée qui, à la longue, finit par céder.
Elle et le shah poussèrent un profond soupir.
— Eh bien, croyez-le ou pas, poursuivit-elle,
Hulagu avait été si impressionné par la valeur et les prouesses des hommes
d’Ormuz qu’il les envoya tous dans le lit des femmes mongoles qui
accompagnaient toujours ses armées, souhaitant ainsi fortifier sa race par
l’apport génétique de cette puissance guerrière. Après quelques nuits de cette
cohabitation forcée, aussitôt que l’ilkhan Hulagu estima que ces femmes avaient
eu le temps d’être dûment fécondées, il tint sa promesse et permit aux archers
de regagner Ormuz. Mais, avant de leur rendre la liberté, il leur fit à tous
trancher l’index et le majeur afin qu’ils ne puissent plus jamais manier l’arc.
Le chef mongol eut ainsi le beurre et l’argent du beurre, et cette cité,
n’étant plus défendue, devint sans difficulté possession du khan.
— Ma chère, intervint le shah passablement
confus, ces gentilshommes, comme vous ne l’ignorez pas, sont des émissaires du
khan en personne. La lettre qu’ils m’ont présentée est un sauf-conduit rédigé
par le khan Kubilaï en personne. Je doute fort qu’ils apprécient des histoires
révélant une telle, euh... inconduite de la part des Mongols !
— Vous pouvez parler ici, je crois, d’atrocités pures et simples, shah Zaman, observa mon oncle avec vivacité. Nous sommes toujours
vénitiens, non pas des mongols d’adoption, voués à faire leur apologie.
— Alors, je dois vous raconter, reprit la
shahryar, de nouveau penchée vers l’avant, la façon épouvantable dont Hulagu a
traité notre calife Al-Mustasim Billah, le plus saint homme de l’islam.
Le shah laissa échapper un autre soupir et maintint
les yeux fixés sur un point éloigné de la pièce.
— Comme vous le savez peut-être, Mirza Polo,
Bagdad était à l’Islam ce que Rome est à la Chrétienté, et le calife de Bagdad
aux musulmans ce qu’est votre pape aux chrétiens. Aussi, lorsque Hulagu dressa
le siège autour de cette ville, c’est au calife Mustasim lui-même, et non au
shah Zaman, qu’il adressa la sommation de se rendre. (Elle jeta un regard
méprisant à son mari.) Hulagu offrit de lever le siège si le calife acceptait
d’accéder à certaines de ses demandes, parmi lesquelles la cession d’une
importante quantité d’or. Le calife lui notifia fermement son refus en ces
termes : « Notre
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