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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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une ridicule plaine bosselée –, il refusait d’alimenter les flammes
de nos feux de cuisine, si ce n’est très faiblement. Ceux-ci ne brûlant que d’une
pâle et tiède lueur bleue, nos pots à eau mettaient une éternité à bouillir. À
sa façon également, l’air des hauteurs affectait pareillement la chaleur du
soleil. Il était par exemple impossible de s’adosser au côté illuminé d’un
rocher, trop brûlant, tandis que s’appuyer contre l’autre face, restée dans
l’ombre, était glacial et insoutenable. Souvent, nous étions obligés d’ôter nos
épais chapons, devenus chauds et oppressants à nous étouffer, alors qu’aucun
cristal de neige, autour de nous, ne fondait. L’éclat du soleil pouvait
enflammer la glace d’une lueur aveuglante et l’iriser de poudroyants
arcs-en-ciel sans la faire une seconde ruisseler.
    Ces étranges phénomènes des hautes altitudes ne s’y
produisaient toutefois que durant les brefs épisodes clairs et ensoleillés où
l’hiver s’assoupissait un instant. Je vois ces cimes éthérées comme l’ermitage
ultime où vient se retirer le vieux bonhomme Hiver, boudeur, en proie aux idées
noires et au cafard, lorsque le reste du monde le rejette avec mépris, accueillant
à bras ouverts les saisons plus clémentes. Et c’est sans doute par là, au creux
d’une des innombrables grottes et cavernes montagneuses, qu’il se retire pour
dormir de temps à autre. Mais son sommeil est agité. Il se réveille constamment
et bâille d’énormes bourrasques de froidure, agite de longs bras de vent gelé
et fait tomber, en peignant sa blanche barbe, des cascades de neige. Souvent,
très souvent, j’ai regardé un cotonneux pic blanc s’envelopper dans une chute
de neige fraîche et se fondre dans sa blancheur. Ses crêtes les plus proches
s’évanouissaient les premières, puis c’était le tour des yacks qui menaient
notre convoi, avant que ce dernier y soit en totalité absorbé à son tour, et
jusqu’à tout ce qui entourait la crinière de mon cheval agitée par le vent.
Tout sombrait dans le blanc absolu. Au cours de ces tempêtes, la neige était si
dense et la bise si furieuse que nous autres, cavaliers, ne pouvions progresser
que tournés à l’envers sur nos selles, laissant nos montures choisir la route face
à elles, tels des navires remontant au vent.
    Grimpant constamment vers les crêtes et redescendant
les vallées, ce temps rigoureux s’adoucissait parfois, l’espace de quelques
jours, lorsque nous traversions de chaudes, sèches et poussiéreuses gorges au creux
desquelles la virginale dame printanière était venue s’alanguir, pour se
déchaîner à nouveau sur nous dès que nous remontions rendre visite aux domaines
du vieux bonhomme Hiver. Nous alternions donc. Ecrasant la neige à lentes
foulées dans les hauteurs, foulant la boue à pas lourds dans les creux. À demi
gelés au-dessus par une averse de neige fondue, à demi suffoqués en dessous par
un démon de poussière tournoyante. Nous poursuivions malgré tout notre
progression vers le nord et, bientôt, au creux des étroites vallées, nous
découvrîmes des traces de verdure : d’abord buissons rabougris et herbes
éparses, puis timides parcelles de prairies piquées de rares arbres encore d’un
vert tendre qui se multipliaient peu à peu. Ces verdoyantes aires, encore fragmentaires,
étaient si nouvelles et si déplacées dans le paysage blanc neigeux, noir âpre
ou brun aride des hauteurs qu’elles semblaient avoir été découpées à coups de
ciseaux dans de lointaines contrées pour être éparpillées ici, de façon
inexplicable, sur ces terres perdues.
    Plus haut vers le nord, les massifs commençaient à
s’espacer, laissant place à de larges et vertes vallées, et le paysage
affirmait ses contrastes les plus remarquables. Sur le manteau froid et blanc
des montagnes brillaient une centaine de verts différents, tout réchauffés de
soleil : volumineux chinars vert sombre, arbres à sauterelles d’un pâle
vert argenté, peupliers sveltes et élancés semblables à des plumes vertes,
trembles dont les feuilles scintillaient du vert au gris perle. Sous les arbres
et parmi leurs ramures s’embrasaient encore mille autres couleurs : coupes
jaune brillant des tulband, ou tulipes, éclatants bouquets de rosiers
sauvages rouges et roses, pourpres rayonnants des fleurs de lilas. Ces
arbrisseaux élancés montent haut vers le ciel, et, comme nous

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