Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
Vom Netzwerk:
gorals,
urials et autres « moutons de Marco », ainsi que des restes d’êtres
humains écrasés de la façon la plus pathétique –, reliques de troupeaux
sauvages morts depuis longtemps comme de caravanes perdues et oubliées. Ces
infortunés avaient eux aussi entendu les montagnes gémir, puis gronder, puis
hurler, et ils n’avaient plus rien entendu du tout. Seule la chance nous
préserva de subir pareil destin, car nulle piste, nul campement se peut se
proclamer à l’abri du risque d’avalanche. Dieu merci, aucune ne nous emporta,
bien qu’en de multiples occasions nous eussions trouvé la piste condamnée et dû
rechercher une voie parallèle à cette interruption. Se retrouver face à un
infranchissable mur de décombres n’était pas une mince affaire, mais c’était
pire encore lorsque le glissement avait emporté un pan de montagne sur le
chemin d’une étroite piste tracée à flanc de pente et que nous nous retrouvions
face à un vide béant. Nous n’avions dès lors plus d’autre solution que de
retourner d’où nous venions, parfois à plusieurs farsakh en arrière, et
de nous traîner péniblement sur un circuit interminable de forme circulaire,
jusqu’à retrouver la direction du nord.
    Aussi, dès qu’ils entendaient un frémissement de chute
de roches, d’où qu’il surgisse, mon père, mon oncle et Narine se mettaient à
jurer amèrement, et les Cholas à murmurer misérablement. Mais ces sons
provoquaient en moi un tel frisson d’émotion que je n’arrive toujours pas à
comprendre le dédain avec lequel les voyageurs les ont enfouis dans leurs
souvenirs. Car que signifient-ils, ces bruits, sinon l’inéluctable certitude
que, si gigantesques qu’elles puissent paraître, ces montagnes ne survivront
pas éternellement ! Leur éboulement progressif prendra certes des siècles,
des millénaires, voire des ères, avant que le Pamir n’atteigne le niveau encore
impressionnant des Alpes, mais, à terme, elles s’effriteront jusqu’à ne
ressembler qu’à une étendue plate et sans forme. Frappé de cette évidence, je
me demandai, si le Créateur n’avait au fond que l’intention de les abattre,
pourquoi il avait pris la peine d’empiler des roches sur une hauteur aussi
extravagante. Et je m’interrogeai aussi, sans parvenir à le concevoir, sur la
taille inimaginable, fantastique, indicible même, qu’elles avaient pu avoir au
Commencement, lorsque Dieu les avait créées.
    Dans l’invariabilité des couleurs, la seule évolution
que l’œil pouvait percevoir dans leur apparence provenait du temps ou du degré
d’avancement du jour. Quand le ciel était dégagé, les pics altiers capturaient
l’étincelante lumière de l’aube alors que nous sortions encore à peine de la
nuit et conservaient le rougeoiement du soleil couchant longtemps après notre
arrêt, notre souper et même notre coucher, en bas, dans l’obscurité. Par temps
couvert, au contraire, nous apercevions un amas blanc de nuages posé sur un
versant marron, comme bien décidé à nous le dissimuler. Et puis, lorsque le
nuage se dissipait, ce flanc réapparaissait mais tout nimbé de neige, comme
s’il avait déchiqueté des lambeaux de nuage pour s’en draper.
    Lorsque nous atteignîmes nous-mêmes de grandes
hauteurs, arpentant les pistes des cimes, l’intense lumière nous joua souvent
des tours, perturbant notre perception visuelle. Une brume légère, très
fréquente en montagne, trouble les contours des objets un peu éloignés et rend
difficile l’appréciation de leur distance. Mais nulle brume au Pamir. Pourtant,
il est presque impossible de mesurer l’exact éloignement ou même d’estimer
correctement la taille des objets les plus familiers. Il m’arrivait souvent de
fixer mon regard sur un pic éloigné dans l’horizon lointain et de voir soudain,
stupéfait, nos yacks l’escalader, tel un vulgaire empilement de rocs situé à
moins de cent pas de moi. Ou bien j’apercevais soudain, planté sur le bord de
la piste et surgissant à la vue tel un fragment de montagne, un de ces yacks sauvages
ou surragoy, et je craignais qu’il n’aille attirer à lui nos propres
yacks domestiqués, avant de comprendre, l’instant d’après, qu’il était en fait
distant d’un farsakh ou plus, et séparé de nous par une vallée entière.
    L’air des altitudes était aussi facétieux que la
lumière, sa compagne. Comme il l’avait fait dans le Wakhân – qui nous semblait
désormais

Weitere Kostenlose Bücher