Les voyages interdits
d’autres hommes, mais aussi la glace et le feu.
Ils racontèrent ainsi comment, un jour, durant le
siège d’une cité en Inde, les couards mais ingénieux défenseurs de la ville
avaient tenté de les mettre en déroute en lançant contre eux une cavalerie de
composition assez inhabituelle. Les chevaux portaient des cavaliers faits de
cuivre martelé à l’effigie et de taille humaines, et chacun des soldats qui les
chargeait était en réalité une chaudière mobile, son bouclier de cuivre étant
rempli de charbons ardents et de coton imbibé d’huile enflammé. On ne sait si
les Hindous espéraient provoquer un énorme incendie parmi les Mongols ou juste
les effrayer. Toujours est-il que les « guerriers-chaudières »
brûlaient tellement leurs montures que, irritées, celles-ci les désarçonnèrent
de leurs ruades, permettant aux Mongols d’entrer dans la ville et de la prendre
sans grande résistance, en massacrant au passage ses défenseurs moins
« enflammés ».
Une autre fois, les Mongols menaient une campagne
contre une tribu sauvage de Samoyèdes, dans la froidure du Grand Nord. Avant
que la bataille débute, les membres de la tribu coururent plonger dans une
rivière proche et se roulèrent dans la poussière de la berge. Ils laissèrent ce
revêtement geler sur leurs corps et répétèrent cette opération à plusieurs
reprises, jusqu’à se trouver couverts d’une véritable armure de glace et de
poussière capable, du moins le pensaient-ils, de les protéger des flèches et
des lames mongoles. Peut-être l’étaient-ils en effet, mais cette armure gelée
rendit les Samoyèdes si gauches et si malhabiles qu’ils ne purent ni se battre
ni s’esquiver, et les Mongols se contentèrent de les piétiner des sabots de
leurs chevaux.
On le voit, le feu comme la glace avaient été aussi
inopérants contre eux. Mais les Mongols, eux, utilisèrent occasionnellement
l’eau, et avec succès, pour leur part. Dans le pays kazakh, par exemple, ils
assiégèrent une cité appelée Kzyl-Orda qui leur résista longtemps. Le mot kazakh signifie « sans maître », et les guerriers kazakhs, que nous
autres Occidentaux avons baptisés Cosaques, valent bien, à maints égards, les
Mongols. Mais, cette fois, les assiégeants ne se contentèrent pas de mettre le
siège autour de la ville et d’attendre qu’elle se rende. Ils mirent à profit
cette attente pour creuser un nouveau canal vers la rivière voisine, le
Syr-Daria. Ils détournèrent son cours et la laissèrent inonder Kzyl-Orda, dont
tous les habitants périrent noyés.
— L’inondation est un moyen efficace de prendre
une ville, dit l’un des hommes. Meilleur que de la bombarder de gros rochers ou
de flèches enflammées. Mais il existe une autre excellente façon de
faire : envoyer à la catapulte des cadavres de malades. Cela tue assez
vite tous les défenseurs, voyez-vous, tout en laissant les bâtiments intacts
pour les nouveaux occupants. Le seul inconvénient de la méthode est qu’elle
prive nos chefs de leur distraction préférée : célébrer leur victoire sur
des tables humaines.
— Des tables humaines ? répétai-je, pensant
avoir mal entendu.
Uu ?
Ils se mirent à rire et m’expliquèrent. Les tables
étaient de lourdes planches posées sur le dos d’hommes à quatre pattes, les
officiers vaincus de l’armée défaite. Et leur rire se transforma en hilarité à
gorge déployée quand ils imitèrent les gémissements et les sanglots de ces
hommes affamés ployés sous le poids de planches sur lesquelles les plateaux de
bois surchargés de gros amas de viande côtoyaient les pichets remplis de kumis. Leur gaieté devint irrésistible lorsqu’ils évoquèrent les pleurs encore
plus pitoyables des « pieds de table humains » au moment où, leur
repas achevé, ces fêtards de Mongols sautaient d’un bond sur ces tables pour se
lancer dans leurs furieuses danses de la victoire ponctuées de vigoureux
battements de pieds et de sauts endiablés.
En me contant leurs exploits guerriers, les hommes
mentionnaient les grades de leurs chefs, et tout cela me semblait bien confus.
Mais je compris peu à peu que, loin d’être une horde sans structure définie,
l’armée mongole était au contraire un véritable modèle d’organisation. Sur dix
guerriers, on choisissait le plus farouche, le plus fort et le plus expérimenté
pour devenir capitaine. Puis, de la même façon, chaque groupe de dix capitaines
avait un
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