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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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s’ils sont blessés. Elles
veillent également à ce que leur harnachement guerrier soit en parfaite
condition, ainsi que leurs chevaux. On met aussi les enfants à contribution
pour collecter les bouses ou la kara pour le feu, s’occuper des bêtes et
assurer des tours de garde. Les rares fois où les Mongols, attaqués, ont dû
recourir à leurs renforts intérieurs, on a vu les femmes brandir les armes sans
hésiter, se jeter à corps perdu dans la mêlée et y donner le meilleur
d’elles-mêmes.
    Je regrette de le signaler, mais les femmes mongoles
ne ressemblent en rien aux Amazones guerrières dessinées par les artistes de
l’Occident. On pourrait les prendre pour des hommes, tant leurs visages plats
diffèrent peu de ceux de leurs congénères masculins. Elles ont les mêmes
maxillaires carrés, le même teint couleur cuir, et leurs yeux bridés aux
paupières enflées ne laissent filtrer, lorsqu’ils sont ouverts, qu’une
inquiétante flamme rouge. Quoique moins solidement charpentées que les hommes,
elles semblent malgré tout massives, à cause des habits épais qu’elles portent.
Accoutumées comme eux depuis toujours à monter à cheval, chevauchant à
califourchon, elles conservent la démarche traînante qu’ont les cavaliers
lorsqu’ils se retrouvent à pied. Elles n’arborent pas, bien sûr, la fine barbe
ou la moustache qu’affectionnent certains hommes. Ceux-ci gardent en revanche
souvent les cheveux longs comme leurs femmes, parfois noués en tresse sur
l’arrière de la tête, parfois rasés en couronne comme la tonsure des prêtres.
Les femmes les portent relevés en chignons élaborés, et il leur arrive de ne le
faire qu’une fois dans toute leur vie, car lorsqu’elles ont édifié cette
coiffure, elles la vernissent de la sève épaisse de l’arbre wutung, ou
parasol chinois. Elles fixent à son sommet une pièce d’ornementation à base d’écorce
appelée gugu, décorée de morceaux de feutre et de rubans multicolores.
Avec cette coiffure compacte augmentée de la taille du gugu, les femmes
semblent mesurer deux pieds de plus que les hommes, à tel point qu’elles ne
peuvent pénétrer dans leur yourte qu’en inclinant la tête.
    Pendant que je conversais assis avec mes hôtes, la
femme de notre yourte entra et sortit à plusieurs reprises, se penchant à
chaque fois. Ce mouvement n’avait toutefois rien d’une génuflexion, et elle ne
faisait montre par ailleurs d’aucun signe d’asservissement ou de servilité.
Elle s’affairait simplement à sa tâche, emplissant de nouvelles cruches de kumis et d’arkhi à notre intention, reprenant celles qui étaient vides et
veillant à notre confort. Son mari l’appelait simplement nai, qui
signifie « femme », mais tous les autres hommes présents lui
donnaient courtoisement du sain nai. Je fus enchanté de constater qu’une
« bonne femme » ne se comportait pas plus en esclave qu’elle n’était
traitée comme telle. La femme mongole n’est en effet nullement obligée, comme
les musulmanes, de se voiler le visage d’un tchador ou de vivre en pardah, pas
plus qu’elle n’est soumise aux autres humiliations réservées au sexe féminin.
Elle est censée être chaste, au moins après son mariage, mais nul ne s’offusque
si elle use d’un langage un tant soit peu débridé, éclate de rire à une
histoire légère... ou en conte une elle-même, ce que fit la sain nai.
    Elle avait, sans qu’on le lui demande, posé à notre
disposition un plat sur le tapis de feutre, au milieu de la yourte. Après quoi,
sans qu’on l’y eût invitée non plus, elle vint s’asseoir à nos côtés pour le
partager avec nous – et personne ne s’y opposa, ce qui me surprit et me ravit
au moins autant que ne le fit la nourriture présentée. Elle nous avait servi ce
mets dans une variante mongole de notre scalda-vivande, notre réchaud de
Venise. Il y avait là un bol de bouillon de légumes porté à ébullition, un
autre plus petit de sauce brun-rouge et un plateau de tranches d’agneau cru.
Nous en prîmes chacun une, la trempâmes à tour de rôle dans le liquide brûlant
pour la faire cuire à notre goût avant de la passer dans la sauce piquante et
de la manger. La sain nai, comme les hommes, n’y plongeait pas longtemps
sa viande, la dégustant presque crue. Quiconque aurait eu le moindre doute
quant à la robustesse des femmes de ce peuple les aurait vite abandonnés en
regardant celle-ci déchirer voracement les

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