Les voyages interdits
zone aride et
presque dépourvue de végétation, elles se débrouillent toujours pour couvrir
leur terrier d’un toit protecteur fait de brindilles entrelacées et d’herbe
sèche qui brûlent aisément.
Les animaux sauvages ne manquaient pas dans ces
contrées, intéressants à observer même s’ils n’étaient pas comestibles. Il y avait
là, par exemple, des vautours noirs aux ailes si vastes qu’elles atteignaient
trois pas d’envergure, et un serpent à l’aspect si proche du métal jaune que
j’aurais juré qu’il était d’or fondu. Averti de la malignité de son venin, je
me gardai d’aller l’attraper pour vérifier. Il y avait un petit animal nommé yerbb, apparenté à la souris mais muni de pattes postérieures et d’une queue à la
longueur extravagante, appendices sur lesquels il se tenait presque debout, et
un chat sauvage d’une beauté incroyable appelé palang, que j’eus
l’occasion de voir se régaler d’un âne sauvage qu’il avait tué, et dont la robe
pas seulement jaune, mais aussi gris argenté et parsemée de rosettes noires, me
fit penser au léopard héraldique.
Les Mongols m’enseignèrent aussi à cueillir diverses
plantes sauvages susceptibles de nous servir de légumes d’accompagnement pour
nos plats. Les oignons sauvages, par exemple, qui s’harmonisent si bien avec la
venaison. Il y avait une mauvaise herbe nommée « herbe à cheveux »
qui, en effet, ressemblait à s’y méprendre à une touffe noire de cheveux
humains. Bien que ni son nom ni son aspect ne fussent fort appétissants, une
fois bouillie et assaisonnée d’un peu de vinaigre, elle constituait un
condiment délicat. Une autre curiosité était ce qu’ils appelaient
l’« agneau végétal ». Ils soutenaient que c’était bel et bien une
créature hybride issue du croisement entre un animal et une plante, et
estimaient sa chair supérieure à celle de l’agneau véritable. Son goût n’avait
en effet rien de désagréable, il est vrai, mais il ne s’agissait que de la
racine fibreuse d’une certaine fougère.
La nouveauté la plus délicieuse que je découvris à ce
stade de notre voyage fut ce merveilleux melon appelé hami. Même la
méthode employée pour le faire pousser avait pour moi quelque chose d’original.
Dès que les branches commençaient à former leurs bourgeons, les producteurs de
melons pavaient le champ tout entier de plaques d’ardoise sur lesquelles ils
reposaient. Au lieu de recevoir la lumière du soleil uniquement par le dessus,
ces plaques réfléchissaient sa chaleur de façon que ces melons mûrissent
uniformément de tous les côtés à la fois. Le hami avait une chair vert
pâle, laquelle était si croustillante qu’elle craquait quand on y mordait, tout
en ruisselant d’un jus frais et désaltérant, au goût juste assez sucré
pour ne pas être écœurant. Le hami avait un arôme et un parfum
différents de tous les autres fruits, et il était presque aussi bon lorsqu’on
le faisait sécher en flocons pour nos rations de voyage. De toutes celles que
j’ai pu goûter, aucune plante sucrée de jardin ne l’a jamais surpassé.
Après deux ou trois semaines de voyage, la route de la
soie obliqua pour peu de temps au nord. Ce fut la seule fois qu’elle toucha le
Takla Makan, coupant un tronçon très réduit de son extrémité orientale, pour
piquer ensuite vers l’est en direction d’une cité nommée Dun-huang. Ce bref
crochet septentrional nous conduisit dans une passe qui serpentait au milieu de
montagnes basses – en fait, de hautes dunes de sable – appelées les collines de
Flamme.
Il y a à Kithai une légende pour chaque lieu. Selon ce
qu’on racontait ici, ces collines, jadis verdoyantes et couvertes d’une forêt
luxuriante, furent incendiées par quelque malicieux kwei, un démon
local. Un dieu singe passa par là et éteignit gentiment les flammes de son
souffle, mais il n’en resta rien d’autre que ces collines de sable, encore
rougeoyantes de braises. C’est du moins ce que prétend la légende.
J’inclinerais pour ma part à penser qu’elles tiennent leur nom de la couleur
ocre brûlé de leurs sables et des vents qui les balaient, y sculptant des plis
et des ridules de forme tourmentée qui rappellent des flammèches. De plus, le
rideau de chaleur vibrante dans lequel elles baignent en été leur confère un aspect
chatoyant. Le soir venu, au coucher du soleil, elles irradient une teinte rouge
orangé étincelante.
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