L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
roi George les aurait mieux payés, parce qu’il est plus riche. Il les aurait enrichis pour toute leur vie. Mais, Dieu merci, il règne dans le pays un esprit qui semble miraculeux. Des gens qui n’ont rien agissent comme si toutes les richesses des Indes devaient être le prix de leur fidélité. Nous serions encore bien des années esclaves de l’Angleterre, si tous nos concitoyens étaient des misérables comme vous.
– Comment ! s’écria le Skinner en faisant un pas en arrière, et en portant la main à son fusil pour coucher en joue le capitaine ; suis-je trahi ? Êtes-vous mon ennemi ?
– Scélérat ! s’écria Lawton en détournant le fusil d’un coup de son sabre, dont la lame résonna dans son fourreau d’acier ; fais encore un mouvement pour diriger vers moi ton fusil, et je te fends le crâne jusqu’aux épaules.
– Ainsi donc vous ne nous paierez pas, capitaine Lawton ? dit le drôle tremblant, en voyant un détachement de dragons entourer sa troupe en silence.
– Vous payer ? si vraiment. Je compte bien vous payer tout ce qui vous est dû. Tenez, dit le capitaine, en jetant par terre un sac de guinées ; voici l’argent envoyé par le colonel Singleton pour ceux qui arrêteraient l’espion. Mais bas les armes, coquins, et vérifiez si la somme est bien comptée.
La troupe intimidée obéit à cet ordre, et tandis que les Skinners étaient agréablement occupés à voir leur chef compter les pièces d’or, quelques dragons arrachèrent secrètement les pierres de leurs mousquets.
– Eh bien ! demanda Lawton, le compte y est-il ? Avez-vous la récompense promise ?
– Il n’y manque rien, répondit le chef, et maintenant, avec votre permission, nous allons nous retirer.
– Un moment ! répliqua Lawton avec sa gravité ordinaire. Nous avons été fidèles à nos promesses ; maintenant il s’agit d’être justes. Nous vous payons pour avoir arrêté un espion, mais nous vous punissons comme voleurs, meurtriers et incendiaires. Saisissez-les, mes braves, et traitez-les conformément à la loi de Moïse : quarante coups d’étrivières moins un.
Un tel ordre était une fête pour les dragons. En un clin d’œil les Skinners furent dépouillés de leurs habits, et attachés avec des courroies chacun à un pommier. Une cinquantaine de branches furent coupées à l’instant à coups de sabre, et les dragons eurent soin de choisir les plus souples pour s’en servir. Lawton donna le signal pour qu’ils se missent à l’ouvrage, leur recommandant de nouveau avec humanité de ne pas excéder le nombre de coups prescrits par la loi de Moise ; l’on entendit s’élever dans le verger des cris comparables au tumulte de la tour de Babel. La voix du chef s’élevait par-dessus toutes les autres, et il y avait de bonnes raisons pour cela : le capitaine avait averti le dragon chargé de lui administrer cette correction, qu’il avait affaire à un officier supérieur, et qu’il devait songer à lui rendre les honneurs convenables. La flagellation fut infligée avec beaucoup d’ordre et de célérité ; la seule irrégularité qui s’y glissa, fut que les dragons ne commencèrent à compter leurs coups qu’après avoir fait l’essai de leurs baguettes, afin, comme ils le dirent, de reconnaître les endroits où ils devaient frapper. Cette opération sommaire étant terminée à la satisfaction du capitaine, il ordonna aux dragons de laisser les Skinners remettre leurs habits, et de monter à cheval, attendu qu’ils formaient un détachement qui devait s’avancer plus loin dans le comté.
– Vous voyez, mon cher ami, dit le capitaine au chef de la bande, quand celui-ci fut prêt à partir, que je suis en état de vous couvrir au besoin ; et si nous nous rencontrons souvent, je vous promets que vous serez couvert de cicatrices qui, si elles ne sont pas très-honorables, seront du moins bien méritées.
Le brigand ne répondit rien, et, ramassant son fusil, il pressa ses compagnons de partir. Dès que tous furent prêts ils se mirent en marche en silence, se dirigeant vers quelques rochers à très-peu de distance, et près desquels était un bois épais. La lune se levait en ce moment, et il était facile de distinguer les dragons qui étaient encore au même endroit. Tout à coup les Skinners firent volte-face, les couchèrent en joue et lâchèrent leur coup.
Ce mouvement fut aperçu ; on entendit le bruit des chiens frappant contre les
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