L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
caché dans vos poches ?
– Est-ce que vous ne l’entendez pas ronfler dans ma chambre, canaille que vous êtes ? s’écria Betty tremblant de rage. Et c’est ainsi que vous traitez une femme honnête ? Faire coucher un homme dans ma chambre, chien de vaurien !
– Bah ! bah ! dit le dragon ; le grand malheur ! un homme qui sera pendu demain matin ! Vous entendez qu’il dort déjà ; mais demain il commencera un plus long somme.
– À bas les mains, drôle ! s’écria la vivandière, abandonnant une petite bouteille que le dragon avait réussi à lui arracher. Je vais aller trouver le capitaine Jack, et je saurai si c’est par son ordre qu’on a mis un gibier de potence d’espion dans ma chambre, dans le lit d’une veuve, brigand que vous êtes !
– Silence ! vieille Jézabel, cria le factionnaire en retirant de sa bouche le gouleau de la bouteille pour reprendre haleine, ou vous éveillerez le prisonnier. Voudriez-vous troubler le dernier sommeil d’un homme ?
– J’éveillerai le capitaine Jack, scélérat de réprouvé, et je l’amènerai ici pour me rendre justice. Il vous punira tous pour avoir insulté une veuve décente, chien de maraudeur !
À ces mots, dont le dragon ne fit que rire, Betty fit le tour du bâtiment, et se dirigea vers le quartier de son favori, le capitaine Lawton, pour invoquer sa justice. Cependant, ni l’officier ni la vivandière ne reparurent de toute la nuit, chacun d’eux étant différemment occupé, et il n’arriva aucun incident capable de troubler le repos du colporteur qui, à la grande surprise de la sentinelle, prouvait, en continuant de ronfler, que l’idée de la potence n’avait pas le pouvoir d’interrompre son sommeil.
CHAPITRE XVIII
C’est un Daniel qui est venu pour juger ! Oui, un Daniel ! – Ô jeune et sage magistrat, combien je t’honore !
SHAKESPEARE. – Le marchand de Venise.
Les Skinners suivirent avec empressement le capitaine Lawton vers le quartier qui avait été assigné à la compagnie de cet officier.
Le capitaine de dragons avait montré en toute occasion tant de zèle pour la cause qu’il avait embrassée, il méprisait tellement le danger, quand il s’agissait de combattre l’ennemi, sa haute taille et son regard sévère contribuaient tellement à le rendre terrible en de pareils moments, que bien des gens lui supposaient un esprit tout différent de celui du corps dans lequel il servait, et donnaient à sa bravoure le nom de férocité, à son zèle impétueux celui de soif du sang. Au contraire, quelques actes de clémence, ou pour mieux dire de justice impartiale, avaient valu à Dunwoodie, dans l’esprit de ceux qui le connaissaient mal, une réputation de tolérance coupable. C’est ainsi qu’il arrive souvent que l’opinion publique se trompe dans ses jugements en distribuant l’éloge ou le blâme.
Tant qu’il avait été en présence du major, le chef des Skinners avait éprouvé cette contrainte dont un homme souillé de tous les vices ne peut se défendre quand il se trouve dans la compagnie d’un être vertueux. Il se sentit plus à l’aise près de Lawton, dont-il croyait l’âme à peu près semblable à la sienne. Dans le fait, à moins qu’il ne fût avec ses amis intimes, Lawton avait un air grave et austère qui trompait tous les autres, et c’était un proverbe dans sa compagnie, que le capitaine ne riait que lorsqu’il allait punir. S’approchant donc de lui avec un sentiment intérieur de satisfaction, le Skinner entama la conversation ainsi qu’il suit :
– Il est toujours bon de savoir distinguer ses amis de ses ennemis.
À cette sentence servant de préface, le capitaine ne répondit que par un son inarticulé qui semblait en reconnaître la justesse.
– Je suppose que le major Dunwoodie est dans les bonnes grâces de Washington ? continua le Skinner d’un ton qui semblait exprimer un doute plutôt que faire une question.
– Il y a des gens qui le pensent, répondit Lawton avec un air d’insouciance.
– Les vrais amis du congrès et du pays, reprit le Skinner, voudraient que le commandement de la cavalerie fût confié à un autre officier. Quant à ce qui me concerne, si j’étais couvert au besoin par une troupe de bons cavaliers, je pourrais rendre des services bien plus importans que la capture d’un espion.
– Vraiment ! dit le capitaine en prenant un ton de familiarité, et quels services ?
– Quant à cela, l’affaire
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