L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
serait aussi bonne pour l’officier que pour nous-mêmes, ajouta le Skinner, en jetant sur Lawton un regard expressif.
Mais encore, quels services ? demanda le capitaine avec un peu d’impatience, en pressant le pas pour que les autres ne pussent entendre cet entretien.
– Tout près des lignes de l’armée royale presque sous le canon de ses batteries, il y aurait d’excellents coups à faire si j’avais une troupe de cavalerie pour nous protéger contre celle de Delancey {32} , et pour empêcher qu’on ne nous coupât la retraite par Kings-Bridge.
– Je croyais que les Vachers ne laissaient rien à faire aux autres.
– Ils ne s’oublient pas, ma foi ; mais ils sont obligés de ménager un peu les gens de leur parti, dit le drôle avec toute confiance. Deux fois je suis entré en arrangement avec eux : la première ils ont agi honorablement, mais la seconde ils nous ont trahis, sont tombés sur nous et se sont emparés de tout le butin.
– Les infâmes brigands ! s’écria Lawton avec gravité. Je suis surpris que vous entriez en arrangement avec de tels coquins.
– Il faut bien pour notre sûreté que nous nous entendions avec quelques-uns d’entre eux ; cependant un homme sans honneur est pire qu’une brute. Pensez-vous qu’on puisse se fier au major Dunwoodie ?
– Vous voulez dire d’après les principes d’honneur ? dit Lawton.
– Sans contredit. Vous savez qu’Arnold jouissait d’une bonne réputation jusqu’à la capture de certain major de l’armée royale.
– Ma foi, je ne crois pas que Dunwoodie voulût vendre son pays comme Arnold était disposé à le faire ; et je ne crois pas qu’on puisse avoir en lui une entière confiance dans une affaire aussi délicate que celle dont vous parlez.
– C’est précisément ce que je pensais, répliqua le Skinner d’un air satisfait de lui-même, et content de sa pénétration.
Ils arrivaient alors à une grande ferme dont les bâtiments étaient en assez bon état, vu les circonstances du temps. Les dragons, tout habillés, étaient couchés dans les granges, et les chevaux, sellés, bridés, en un mot, prêts à être montés, au premier signal, mangeaient tranquillement leur fourrage sous un grand hangar qui les mettait à l’abri du vent piquant du nord. Lawton, priant les Skinners de l’attendre un instant, entra dans son logement. Il en revint bientôt tenant en main une grande lanterne d’écurie, et il les conduisit vers un grand verger qui entourait les bâtiments de trois côtés. La bande suivit son chef en silence ; celui-ci s’imaginant que le dessein du capitaine était de le conduire dans un endroit où ils pussent causer de cet objet intéressant, sans courir le risque d’être entendus.
Se rapprochant du capitaine, et voulant tâcher de gagner la confiance de Lawton, en lui donnant une opinion plus favorable de son intelligence, le chef des maraudeurs s’empressa de renouer la conversation.
– Croyez-vous que les colonies l’emporteront sur le roi ? demanda-t-il avec l’air d’importance d’un politique de profession.
– Si je le crois ! s’écria Lawton avec impétuosité ; mais reprenant aussitôt son sang-froid, sans doute je le crois, dit-il. Si la France nous donne de l’argent et des armes, nous chasserons les troupes royales en six mois de temps.
– Je l’espère aussi, dit le Skinner, qui se souvenait pourtant qu’il avait plus d’une fois formé le projet de joindre les Vachers ; alors nous aurons un gouvernement libre, et nous qui combattons pour lui, nous en serons récompensés.
– Vous y aurez des droits incontestables, et ces gens qui vivent paisiblement chez eux seront couverts du mépris qu’ils méritent. Êtes-vous propriétaire de quelque ferme ?
– Pas encore ; mais j’aurai bien du malheur si je n’en attrape pas quelqu’une avant que la paix se fasse.
– C’est bien : songer à vos intérêts, c’est songer à ceux de votre pays. Faites valoir vos services, criez contre les tories, et je gage mes éperons d’argent contre un clou rouillé que vous finirez par devenir tout au moins un clerc de comté.
– Ne croyez-vous pas que les gens de Paulding {33} aient fait une sottise en refusant de laisser échapper l’adjudant-général de l’armée du roi ? dit le brigand mis hors de garde par le ton que prenait le capitaine en lui parlant.
– Une sottise ! s’écria Lawton en souriant avec amertume ; oui sans doute, le
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