L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
m’épargner cette mort ignominieuse, s’écria Birch en se levant avec vivacité et en saisissant le bras du sergent. Oh ! que ne vous donnerais-je pas pour vous en récompenser.
– Et comment cela ? demanda Hollister d’un air surpris.
– Voyez dit le colporteur en lui montrant plusieurs guinées, ceci n’est rien auprès de ce que je vous donnerai si vous voulez favoriser mon évasion.
– Quand vous seriez l’homme dont on voit l’image sur ces pièces d’or, vous ne pourriez me déterminer à commettre un pareil crime, répondit le dragon en jetant les guinées par terre avec mépris. Allez, allez, pauvre misérable, faites votre paix avec Dieu, car ce n’est qu’à lui que vous pouvez avoir recours à présent.
Le sergent reprit sa lanterne avec une sorte d’indignation, et laissa le colporteur libre de méditer tristement sur sa fin prochaine. Birch se laissa tomber de désespoir sur le grabat de Betty, tandis que le sergent donnait au factionnaire l’ordre de le garder avec soin, et il termina ses injonctions en lui disant :
– Ne laissez approcher personne de votre prisonnier, et songez que s’il s’échappe votre vie en répond.
– Mais ma consigne est de laisser entrer et sortir Betty Flanagan quand bon lui semble, répondit le factionnaire.
– À la bonne heure, répliqua Hollister ; mais ayez soin que ce rusé colporteur n’en sorte pas caché dans les plis de ses jupons. Et se mettant en marche, il alla donner des instructions semblables aux autres sentinelles qui étaient de garde près de cet endroit.
Pendant quelque temps après le départ du sergent, le silence régna dans la prison solitaire du colporteur ; enfin le dragon qui veillait à sa porte y entendit le bruit d’une respiration forte qui se changea bientôt en ronflements très-sonores, et il continua à faire sa faction en réfléchissant sur l’indifférence que devait avoir pour la vie un homme qui dormait à la veille d’être pendu. Au surplus le nom d’Harvey Birch était depuis trop longtemps en horreur à tout le corps pour qu’il s’élevât dans le sein du dragon quelque sentiment de commisération, et il ne s’y trouvait peut-être pas un autre individu qui lui eût parlé avec autant de bonté qu’Hollister, et qui n’eut imité la conduite du vétéran en refusant les offres les plus séduisantes, quoique probablement par des motifs moins méritoires. Le soldat qui le gardait éprouvait même un sentiment secret de dépit en entendant son prisonnier jouir d’un sommeil dont il était privé lui-même, et faire preuve ainsi de tant d’indifférence pour le châtiment le plus sévère que les lois de la guerre pouvaient infliger aux traîtres. Plus d’une fois il fut tenté de troubler ce repos extraordinaire du colporteur en l’accablant de reproches et d’injures ; mais la discipline à laquelle il était soumis et une honte involontaire de sa brutalité le retinrent dans les bornes de la modération.
La vivandière interrompit ces réflexions. Elle arriva par une porte communiquant à la cuisine, en proférant des malédictions contre les domestiques des officiers, qui, par leurs espiègleries, avaient troublé le sommeil qu’elle goûtait près du feu. Le factionnaire comprit assez ses imprécations pour savoir ce dont il s’agissait, mais tous ses efforts pour entrer en conversation avec cette femme courroucée furent inutiles, et il la laissa entrer dans sa chambre sans lui expliquer qu’elle était déjà occupée. Elle tomba lourdement sur son lit ; mais bientôt, après un moment de silence, le factionnaire entendit de nouveau la respiration bruyante du colporteur. On vint en ce moment relever la garde, et le factionnaire, toujours excessivement piqué de l’indifférence de son prisonnier, après avoir transmis sa consigne au dragon qui allait le remplacer, lui dit, en retournant au corps-de-garde :
– Tu peux te réchauffer les pieds en dansant, John. L’espion a accordé son violon ; ne l’entends-tu pas ? et avant qu’il soit longtemps Betty fera un duo avec lui.
Le caporal et les dragons qui l’accompagnaient répondirent à cette plaisanterie par de grands éclats de rire, et ils partirent pour continuer leur ronde. Quelques instants après la porte de la chambre s’ouvrit, et Betty en sortant reprit le chemin de la cuisine.
– Halte là ! s’écria le factionnaire en la retenant par la robe êtes-vous bien sûre que l’espion n’est pas
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