L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
dispersèrent vers les quatre points cardinaux. Ils entendirent certains sons et différentes voix de personnes qui s’appelaient les unes les autres ; mais comme les maraudeurs avaient le pied léger, ils furent bientôt à une assez grande distance pour ne plus rien entendre.
Il ne se passa pas longtemps avant que Betty Flanagan sortît du sein des ténèbres, et elle prit possession fort tranquillement de ce que les Skinners avaient abandonné dans leur retraite, leurs provisions et les vêtements qu’ils avaient quittés. La vivandière s’assit avec le plus grand sang-froid, et commença par faire un repas dont elle eut l’air satisfaite. Elle resta ensuite pendant une heure la tête appuyée sur sa main, livrée à de profondes réflexions, puis elle choisit dans les vêtements des Skinners tout ce qui pouvait lui convenir, et enfin elle s’enfonça dans le bois, laissant le feu jeter sa clarté sur les rochers voisins, jusqu’à ce qu’enfin la dernière étincelle se fût éteinte et eut laissé ces lieux livrés à la solitude et à l’obscurité.
CHAPITRE XIX
Ô soleil levant, dont les joyeux rayons invitent ma belle à des jeux champêtres ! dissipe le brouillard, rends au ciel tout son azur, et ramène mon Orra devant mes yeux.
Bannis donc cette irrésolution qui te tourmente ; quand les pensées sont un supplice, les premières sont les meilleures. C’est une folie de partir ; mais c’est une mort de rester. Allons vite, allons trouver Orra.
Chanson lapone.
Tandis que le sommeil faisait oublier à ses camarades les fatigues et les dangers de leur profession, Dunwoodie n’avait goûté qu’un repos souvent interrompu par l’agitation de son esprit. Dès que les premiers rayons de l’aurore commencèrent à succéder à la douce clarté de la lune, il quitta le lit sur lequel il s’était jeté tout habillé et se leva plus fatigué que lorsqu’il s’était couché.
Le vent était tombé, et le brouillard se dissipant, tout promettait un de ces beaux jours d’automne qui dans ce climat si variable succèdent à une tempête avec une rapidité magique. L’heure à laquelle il avait dessein de faire changer de position à son corps n’était pas encore arrivée, et voulant laisser à ses soldats autant de repos que les circonstances le permettaient, il s’avança vers le lieu qui avait été témoin du châtiment des Skinners, réfléchissant sur tous les embarras de sa situation, et ne sachant trop comment concilier sa délicatesse et son amour. Une autre de ses inquiétudes était la situation dangereuse de Henry Wharton. Il n’avait pas le moindre doute que les intentions de son ami n’eussent été parfaitement pures, mais il n’était pas également sûr qu’un conseil de guerre partageât la même opinion, et indépendamment de son amitié pour Henry, il sentait que si le frère venait à périr, il fallait renoncer à tout espoir d’union avec la sœur. La soirée précédente, il avait envoyé un officier au colonel Singleton qui commandait les avant-postes, pour lui faire part de l’arrestation du capitaine Wharton, l’informer de l’opinion qu’il avait lui-même de son innocence, et lui demander ce qu’il devait faire de son prisonnier. Les ordres du colonel pouvaient arriver à chaque instant, et plus il voyait approcher le moment où Henry ne serait plus sous sa protection, plus ses inquiétudes redoublaient.
L’esprit troublé par de semblables réflexions, il avait traversé le verger et était arrivé jusqu’au pied des rochers qui avaient protégé la fuite des Skinners la nuit précédente, sans savoir où sa promenade l’avait conduit. Il allait retourner sur ses pas pour rentrer à l’hôtel Flanagan, quand il entendit une voix s’écrier :
– Arrêtez, ou vous êtes mort.
Dunwoodie se retourna avec surprise, et vit sur la pointe d’un rocher à peu de distance de lui un homme tenant un mousquet et le couchant en joue. Il ne faisait pas encore assez grand jour pour distinguer parfaitement les objets au milieu de l’obscurité produite par les arbres, et il lui fallut un second coup d’œil pour s’assurer, à son grand étonnement, que c’était le colporteur qui était devant lui. Comprenant sur-le-champ le danger de sa position et ne voulant ni demander merci ni prendre la fuite, quand même elle eût été possible, il s’écria avec fermeté :
– Si vous voulez m’assassiner, faites feu, car je ne me rendrai jamais
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