L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
donna quelques ordres relatifs aux précautions à prendre pour que la santé de Singleton ne souffrît pas de la marche. Ayant ensuite adressé à son ami quelques paroles d’encouragement, il donna un coup d’éperon à Roanoke, et s’éloigna de la charrette avec une rapidité qui mit encore en déroute toute la philosophie de Katy.
– Voilà un fameux et hardi cavalier, s’écria la vivandière. Bon voyage, capitaine ; et si vous rencontrez en chemin M. Belzébut, montrez-lui votre bête et faites-lui voir que c’est sa femme que vous avez en croupe. Je crois qu’il ne s’arrêtera pas longtemps pour causer. Eh bien ! eh bien ! nous lui avons sauvé la vie après tout, comme il le dit lui-même ; et après cela qu’importe le pillage ?
Le bavardage bruyant de Betty Flanagan était trop familier aux oreilles du capitaine pour qu’il s’arrêtât pour l’écouter ou pour y répondre. Malgré le fardeau inusité dont Roanoke était chargé, il franchit rapidement la distance qui séparait la charrette de la vivandière de la voiture de miss Peyton, et s’il répondit en cela aux désirs de son maître, il ne satisfit nullement ceux de sa compagne. On était près des Quatre-Coins quand il rejoignit l’équipage, et la lune sortant au même instant de derrière une masse de nuages, jeta sur tous les objets une lumière plus pâle que de coutume pour des yeux qui venaient d’être frappés par l’éclat brillant d’un incendie. Il y a pourtant dans le clair de lune une douceur que le jour des flammes ne peut égaler, et Lawton ralentissant le pas de son cheval, se livra en silence à ses réflexions pendant tout le reste du chemin.
Comparé à l’élégance simple et commode des Sauterelles, l’hôtel Flanagan ne présentait qu’une bien triste habitation. Au lieu de planchers couverts de tapis et de fenêtres ornées de rideaux, on y voyait des ais mal joints, et l’on avait employé ingénieusement des morceaux de planches et de papier pour remplacer les carreaux de vitre des croisées, dont plus de la moitié étaient cassés.
Lawton avait pourtant eu soin de rendre leur appartement aussi commode que les circonstances le permettaient. On avait allumé un grand feu dans toutes les chambres, pour en diminuer un peu l’air de désolation, et les dragons y avaient porté, par ordre de leur capitaine, les meubles les plus indispensables qu’il avait été possible de se procurer. Miss Peyton et ses compagnes trouvèrent donc presque en arrivant un logement à peu près habitable. L’esprit de Sara avait continué à divaguer pendant tout le voyage, et avec cette disposition particulière au délire, elle adaptait toutes les circonstances aux sentiments qui dominaient dans son cœur. On eut besoin de la soutenir pour la conduire dans l’appartement destiné aux dames ; mais dès qu’elle fut assise sur un banc à côté de Frances, elle lui passa un bras avec affection autour de la taille, et lui dit en étendant lentement l’autre autour d’elle :
– Voyez ! c’est ici le palais de son père ; mille torches y sont allumées, mais il n’y a pas de mari… Ah ! ne vous mariez jamais sans bague. Ayez soin qu’elle soit préparée, et prenez bien garde qu’une autre n’y ait des droits… Pauvre fille ! comme vous tremblez ! mais vous n’avez rien à craindre ; il ne peut jamais y avoir deux maris pour plus d’une femme… Oh ! non, non, non… Ne tremblez pas, ne pleurez pas, vous n’avez rien à craindre.
– Quel remède peut guérir un esprit qui a reçu un tel coup ? demanda à Isabelle Singleton le capitaine Lawton, qui regardait avec compassion ce cruel spectacle. Le temps et la bonté divine peuvent seuls lui apporter du soulagement. – Mais on peut faire quelque chose de plus pour rendre votre appartement moins incommode. Vous êtes fille d’un soldat, et habituée à de pareilles scènes ; aidez-moi à empêcher l’air froid de la nuit de pénétrer par cette fenêtre.
Miss Singleton se mit à l’œuvre sur-le-champ, et tandis que Lawton cherchait à remédier à quelques carreaux de vitre cassés, Isabelle suspendait devant la croisée un drap destiné à tenir lieu de rideau.
– J’entends la charrette, dit le capitaine répondant à une question de miss Singleton relativement à son frère ; Betty a le cœur bon au fond. Croyez-moi, George est avec elle, non seulement en sûreté, mais aussi bien qu’il est possible.
– Que Dieu la
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