L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
récompense de ses soins, et qu’il vous bénisse tous ! dit Isabelle avec ferveur. Je sais que le docteur Sitgreaves est allé à leur rencontre. – Mais que vois-je donc briller là-bas au clair de la lune ?
En face de la croisée devant laquelle ils étaient, on voyait les dépendances extérieures de la ferme et l’œil perçant de Lawton aperçut à l’instant l’objet sur lequel elle fixait son attention.
– De par le ciel, c’est une arme à feu s’écria le capitaine en sautant par la fenêtre pour aller trouver son coursier qui était encore à la porte, sellé et bridé. Son mouvement fut aussi vif que la pensée, mais il n’avait pas encore fait un pas, quand il vit un éclair qui fut suivi du sifflement d’une balle. Il venait de sauter sur sa selle, quand un grand cri partit de l’appartement qu’il venait de quitter. Le tout fut l’affaire d’un instant.
– À cheval ! dragons, à cheval ! suivez-moi ! s’écria Lawton d’une voix de tonnerre ; et avant que ses soldats eussent eu le temps de bien comprendre la cause de cette nouvelle alarme, Roanoke avait déjà franchi une haie qui le séparait de son ennemi. Il poursuivit le fugitif comme si sa vie ou sa mort en eussent dépendu ; mais les rochers étaient encore à trop peu de distance, et le capitaine désappointé vit sa victime lui échapper en gagnant les hauteurs coupées de fentes et de crevasses, où il lui était impossible de le suivre.
– Par la vie de Washington ! murmura Lawton en remettant son sabre dans le fourreau, je l’aurais fendu en deux s’il n’avait pas eu le pied si agile ; mais un jour viendra. À ces mots, il retourna vers la maison avec l’indifférence d’un homme qui sait que sa vie peut à chaque instant être offerte en sacrifice à son pays. Le bruit d’un tumulte extraordinaire lui fit doubler le pas, et en arrivant à la porte, Katy, pâle de terreur, lui apprit que la balle dirigée contre lui-même avait frappé la poitrine de miss Singleton.
CHAPITRE XXIV
Les lèvres de sa Gertrude étaient fermées, et cependant leur douce et charmante expression semblait animée par un amour qui ne peut mourir ; et elle pressait encore la main de son amant sur un cœur qui avait cessé de battre.
CAMPBELL. Gertrude de Wioming .
L’appartement que les dragons avaient préparé à la hâte pour les dames était composé de deux pièces contiguës, dont l’une devait leur servir de chambre à coucher. On transporta sur-le-champ Isabelle dans celle-ci à sa propre demande, et on la plaça sur un mauvais lit à côté de Sara qui ne parut pas s’en apercevoir. Quand miss Peyton et Frances coururent pour lui donner des secours, le sourire qu’elles virent sur ses lèvres, et le calme qu’exprimait sa physionomie, les portèrent à croire qu’elle n’avait pas été blessée.
– Dieu soit loué ! s’écria miss Peyton toute tremblante ; le bruit du coup de feu et votre chute m’avaient fait concevoir des craintes terribles. Hélas ! nous avons vu cette nuit assez d’horreurs, et celle-ci pourrait bien nous être épargnée.
Isabelle pressa ses mains sur son sein en souriant encore, mais il y avait dans son sourire quelque chose qui glaça le sang de Frances, tandis que sa malheureuse compagne disait :
– George est-il encore bien loin ? informez-le… qu’il vienne bien vite, que je puisse voir mon frère encore une fois.
– Mes craintes étaient donc fondées ! s’écria miss Peyton. Mais vous souriez, sûrement vous n’êtes pas blessée.
– Je suis bien, tout à fait bien, murmura Isabelle la main toujours appuyée sur sa poitrine ; il y a un remède pour tous les maux.
Sara, qui était couchée près d’elle, se souleva et la regarda d’un air égaré. Elle étendit le bras, prit la main d’Isabelle, et vit qu’elle était teinte de sang.
– Voyez, dit-elle, c’est du sang, mais le sang est un remède contre l’amour. Mariez-vous, jeune fille, et alors personne ne pourra le bannir de votre cœur, à moins, ajouta-t-elle en baissant la voix et en se penchant vers sa compagne, à moins qu’une autre ne s’y trouve avant vous. En ce cas, mourez et allez au ciel : il n’y a pas de femmes dans le ciel.
La pauvre fille se cacha la tête sous les couvertures, et garda le silence tout le reste de la nuit. Ce fut en ce moment que Lawton arriva. Quoique habitué à voir la mort sous toutes ses formes, et toutes les horreurs d’une guerre de
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