L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
quelquefois sur ceux de derrière. Il n’est pas habitué à sentir une paire de talons lui battre les flancs comme les baguettes d’un tambour battent la caisse un jour de combat. Il se souvient quinze jours du plus léger coup d’éperon. Il n’est pas prudent de vous agiter ainsi, car c’est un cheval qui ne se soucie pas beaucoup d’un double fardeau.
– Laissez-moi descendre, vous dis-je, s’écria Katy. Je tomberai ; je serais tuée. D’ailleurs, je ne puis me tenir à rien ; ne voyez-vous pas que j’ai les deux mains occupées ?
Lawton tourna la tête en arrière, et vit que pendant qu’il enlevait la femme, la femme avait enlevé son paquet qu’elle tenait serré entre ses deux bras. Je vois que vous appartenez aux bagages, dit-il ; mais mon ceinturon peut entourer votre taille svelte et la mienne.
Katy fut trop flattée de ce compliment pour faire aucune résistance. Lawton l’attacha solidement à son corps d’Hercule, et faisant sentir l’éperon à son coursier, il partit de la pelouse avec une rapidité qui ne permit plus à Katy de songer à résister. Après avoir couru quelque temps d’un train qui déplaisait fort à la femme de charge, ils atteignirent la charrette de la vivandière, qui avait mis sa jument au pas, par considération pour les blessures du capitaine Singleton. Les évènements de cette nuit étrange avaient occasionné à ce jeune militaire une agitation dont le résultat définitif était une lassitude extrême. Il était enveloppé soigneusement dans des couvertures, et soutenu par son domestique, hors d’état d’entretenir une conversation, mais occupé de profondes réflexions sur tout ce qui venait de se passer. L’entretien de Lawton avec sa compagne avait cessé quand il avait pris le galop ; mais ayant mis son cheval au pas en ce moment, et ce mouvement était plus favorable au dialogue, il reprit la conversation ainsi qu’il suit :
– Ainsi donc vous avez demeuré dans la même maison qu’Harvey Birch !
– Pendant environ neuf ans, répondit Katy respirant plus librement depuis qu’ils avaient cessé de galoper.
L’air de la nuit avait porté la voix forte du capitaine aux oreilles de la vivandière, qui était assise sur le devant de la charrette, d’où elle dirigeait les mouvements de sa jument. Elle tourna la tête de ce côté, et entendit la réponse comme la question.
– Par conséquent, ma bonne femme, dit-elle, vous devez savoir s’il est vrai ou non qu’il soit parent de Belzébut. C’est le sergent Hollister qui le dit, et le sergent n’est pas un sot, sur ma foi.
– C’est une calomnie scandaleuse, s’écria vivement Katy. Il n’y a pas un porte-balle plus honnête que Harvey, et si quelque amie a besoin d’une robe ou d’un tablier, n’ayez pas peur qu’il reçoive jamais d’elle un farthing. Belzébut, en vérité ! pourquoi lirait-il la Bible s’il avait des rapports avec le malin esprit ?
– Dans tous les cas, reprit Betty, c’est un diable honnête, comme je l’ai déjà dit, car sa guinée était de bel et bon or. Mais le sergent pense différemment, et l’on peut dire que le sergent est un savant.
– Le sergent est un fou, s’écria Katy. Vraiment Harvey devrait être un homme riche à l’heure qu’il est ; mais il fait si peu d’attention à ses affaires ! Combien de fois lui ai-je dit que s’il voulait s’en tenir à sa balle, régulariser ses gains, prendre une femme pour mettre l’ordre chez lui, et renoncer à ses liaisons avec les troupes ou à tout trafic semblable, il aurait bientôt fait une bonne maison ! Alors votre sergent Hollister serait, ma foi, bien heureux de lui tenir la chandelle.
– Vraiment ! dit Betty avec ironie. Vous ne songez donc pas que M. Hollister est officier. Il est le premier dans la compagnie après le cornette. Mais quant à ce colporteur, il est bien vrai que c’est lui qui est venu cette nuit nous avertir de tout ce charivari ; et il n’est pas bien sûr que le capitaine Jack eût eu le dessus, sans le renfort qui lui est arrivé.
– Que dites-vous, Betty ? s’écria Lawton en avançant le corps sur sa selle. Est-ce Birch qui a été vous donner l’alarme ?
– Lui-même, mon bijou ; et c’est moi qui me suis remuée comme un diable dans un bénitier pour faire partir le détachement. Ce n’était pas que je pensasse que vous n’étiez pas en état de donner leur compte aux Vachers, mais avec le diable pour nous
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