L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
j’étais sûre que nous les battrions. Toute ma surprise, c’est que dans une affaire dont Belzébut s’est mêlé, il n’y ait pas eu de pillage.
– Je vous remercie du renfort que vous m’avez procuré, Betty, et je ne vous sais pas moins gré du motif qui vous a déterminée.
– Quoi ! le pillage ? je n’y ai pensé que lorsque j’ai vu tant de meubles sur la pelouse, les uns brûlés, les autres cassés, sans parler de ceux qui étaient aussi bons que neufs. Il n’y aurait pas de mal que le corps eût un lit de plumes tout au moins.
– De par le ciel ! le secours est arrivé à temps. Si Roanoke n’avait volé plus vite que leurs balles, je n’existerais plus. L’animal vaut son poids d’or.
– Son poids en papier, vous voulez dire, bijou, car l’or est un métal pesant, et il est rare dans les États. Si le sergent n’avait eu peur du nègre avec son visage couleur de cuivre brûlé, nous serions arrivés à temps pour tuer tous ces chiens, et faire prisonniers les autres.
– Tout est pour le mieux, Betty. Un jour viendra, j’espère, où ces mécréants seront dignement récompensés, sinon en figurant sur le gibet, du moins en se voyant l’objet du mépris de leurs concitoyens. Oui, oui, l’Amérique apprendra un jour à distinguer un patriote d’un brigand.
– Parlez plus bas, dit Katy ; il y a des gens qui ont grande opinion d’eux-mêmes, et qui trafiquent avec les Skinners.
– C’est qu’ils ont meilleure opinion d’eux-mêmes que celle qu’ils en donnent aux autres, dit Betty. Un voleur est un voleur, n’importe qu’il vole au nom du roi ou au nom du congrès.
Je savais qu’il ne tarderait pas à arriver quelque malheur, dit Katy. Hier soir, le soleil s’est couché derrière un nuage noir, et le chien de la maison a hurlé, quoique je lui eusse donné son souper de mes propres mains ; d’ailleurs, il n’y a pas une semaine que j’avais rêvé que je voyais mille chandelles allumées, et que le pain avait brûlé dans le four. Miss Peyton disait que c’était parce que j’avais fait fondre du suif la veille, et que j’avais le pain à cuire le lendemain ; mais je savais qu’en penser.
– Quant à moi, dit Betty, il est bien rare que je rêve. Couchez-vous la conscience nette et le gosier humecté, et vous dormirez comme un enfant. La dernière fois que j’ai rêvé, ce fut la nuit où les soldats avaient mis dans mes draps des têtes de chardon, et je rêvai que le domestique du capitaine Lawton m’étrillait comme si j’eusse été Roanoke. Mais qu’importe tout cela après tout !
– Qu’importe ! répliqua Katy en se redressant fièrement, ce qui força Lawton à faire le même mouvement ; jamais homme n’a été assez osé pour porter la main sur mon lit. C’est une conduite indécente et méprisable.
– Bah ! bah ! dit la vivandière, si vous étiez attachée comme moi à la queue d’une troupe de dragons, vous apprendriez à vous prêter à la plaisanterie. Que deviendraient les États et la liberté si les soldats n’avaient jamais une goutte et une chemise blanche ? Demandez au capitaine comment ils se battraient, mistress Belzébut, s’ils n’avaient pas de linge blanc pour chanter victoire.
– Je suis encore fille et je me nomme Haynes, dit Katy avec aigreur, et je vous prie de ne pas vous servir d’un pareil langage quand vous m’adresserez la parole ; c’est à quoi je ne suis pas habituée, et apprenez que Harvey n’est pas plus Belzébut que vous-même.
– Miss Haynes, dit le capitaine, il faut permettre un peu de licence à la langue de mistress Flanagan. La goutte dont elle parle est d’un volume considérable, et c’est ce qui lui a donné les manières libres d’un soldat.
– Bah ! bah ! capitaine, mon bijou, pourquoi vous moquez-vous de la bonne femme ? s’écria Betty. Parlez comme vous voudrez, ma chère ; la langue que vous avez dans la bouche n’est pas celle d’une folle. Mais c’est ici quelque part que le sergent a fait halte, croyant qu’il pouvait bien y avoir plus d’un diable en besogne pendant cette nuit. Les nuages sont noirs comme le cœur d’Arnold {38} , et du diable si l’on voit briller une seule étoile ! Mais la jument est habituée à une marche nocturne ; et elle flaire la route aussi bien qu’un limier.
– La lune va se lever dans quelques instants, dit le capitaine. Il appela un dragon qui marchait à quelques pas de lui en avant, et lui
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