L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
n’en dites pas davantage, je vous en conjure !
– Il faut que je parle pour rendre justice à Dunwoodie, et pour la même raison, il faut que vous m’écoutiez, mon frère. Jamais une action, jamais une parole de Dunwoodie, n’a pu me faire croire qu’il eût pour moi un autre sentiment que celui de l’amitié… et même… depuis peu… oui, j’ai eu la honte de penser qu’il évitait ma présence.
– S’il l’avait osé !… s’écria Singleton avec vivacité.
– Paix ! mon frère, et écoutez-moi, dit Isabelle faisant un dernier effort pour parler : voici la cause innocente qui le justifie. Nous avons tous deux perdu notre mère, miss Wharton… mais votre tante… cette tante si bonne, si douce, si prudente… vous a assuré la victoire… Oh ! quelle perte fait celle qui perd la protectrice de sa jeunesse ! J’ai laissé apercevoir ces sentiments qu’on vous a appris à gouverner. Après cela, puis-je désirer de vivre ?
– Isabelle ! ma pauvre sœur ! votre raison s’égare.
– Encore un mot, et j’ai fini… car je sens que mon sang, qui a toujours coulé trop rapidement, prend un cours que ne lui avait pas donné la nature… On n’attache de prix à une femme qu’autant qu’il faut de soins pour lui plaire. Sa vie se compose d’émotions qu’il faut qu’elle dissimule. Heureuses celles que leurs premières impressions mettent en état de remplir cette tâche sans recourir à l’hypocrisie ! elles seules peuvent être heureuses avec des hommes comme… Dunwoodie. La voix lui manqua, et sa tête retomba sur son oreiller. Un cri que poussa Singleton ramena toute la compagnie près du lit d’Isabelle ; mais la mort était déjà empreinte sur tous ses traits. Il lui restait à peine assez de force pour prendre la main de son frère, et l’ayant appuyée un instant sur son cœur, ses doigts se relâchèrent, et elle expira avec une légère convulsion.
Frances Wharton avait cru que le destin, après avoir mis en danger la vie de son frère et égaré la raison de sa sœur, ne pouvait lui réserver de nouveaux chagrins ; mais le soulagement que lui fit éprouver la déclaration d’Isabelle mourante lui apprit qu’une autre cause avait contribué à plonger son cœur dans l’affliction.
Elle reconnut toute la vérité sur-le-champ ; elle apprécia la délicatesse qui avait empêché Dunwodie de mieux s’expliquer. Tout tendait à augmenter l’estime qu’il lui inspirait ; elle regretta que son devoir et sa fierté l’eussent portée à concevoir de lui une opinion moins avantageuse, et se reprocha de l’avoir éloigné d’elle en proie au chagrin, sinon au désespoir. Cependant il n’est pas dans la nature que la jeunesse se livre à une affliction excessive, et Frances, au milieu de tous ses chagrins, éprouvait une joie secrète qui donna un nouveau ressort à tout son être.
Le lendemain de cette nuit de désolation, le soleil se leva avec un éclat qui semblait se jouer des chagrins de ceux qu’éclairaient ses premiers rayons. Lawton avait ordonné que Roanoke lui fût amené à la pointe du jour, et il était prêt à monter à cheval quand la lumière de cet astre naissant commença à dorer la cime des montagnes. Ses ordres étaient déjà donnés, et le capitaine se mit en selle en silence. Jetant un regard de regret et de courroux sur le court espace de terrain qui avait favorisé la fuite du Skinner, il lâcha la bride à Roanoke et partit, vers la vallée.
Le silence de la mort régnait sur sa route, et pas le moindre vestige des scènes terribles de la nuit précédente ne ternissait la pureté de cette belle matinée. Frappé du contraste qu’offraient l’homme et la nature, l’intrépide dragon traversa tous les défilés dangereux sans penser une seule fois aux périls qu’il pouvait y rencontrer ; et il ne fut distrait des réflexions auxquelles il s’abandonnait que lorsque son noble coursier se mit à hennir pour saluer ses compagnons attachés au piquet près de leurs maîtres, les quatre dragons restés avec Hollister.
Là, l’œil apercevait de toutes parts les tristes preuves des malheurs dont ce lieu avait été le théâtre quelques heures auparavant. Lawton y jeta un coup d’œil avec le sang-froid d’un vétéran, s’avança vers le poste qu’avait choisi le prudent Hollister, fit arrêter son cheval, et répondit par une légère inclination de tête au salut respectueux du sergent.
– N’avez-vous rien
Weitere Kostenlose Bücher