L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
avec une grande surprise le caractère sacré du prisonnier que son capitaine ramenait. Lawton donna des ordres sur-le-champ, et ses dragons se mirent à recueillir les effets les plus précieux sauvés de l’incendie dont il leur était possible de se charger. Le capitaine ayant pu faire alors monter son révérend compagnon sur un excellent cheval, reprit le chemin des Quatre-Coins.
Singleton ayant désiré que les restes de sa sœur fussent transportés au poste où son père commandait, on fit de bonne heure tous les préparatifs nécessaires à cet effet, et l’on envoya un messager au colonel pour lui porter la triste nouvelle de la mort de sa fille. Les blessés anglais furent réunis à l’aumônier, et vers le milieu du jour Lawton vit que tous les apprêts étaient tellement avancés, qu’il était probable que, sous quelques heures, il resterait seul avec son détachement en possession paisible de l’hôtel Flanagan.
Tandis qu’il était sur le seuil de la porte, regardant en silence et encore avec humeur le terrain sur lequel il avait poursuivi le Skinner la nuit précédente, son ouïe toujours fine distingua le bruit d’un cheval au galop sur la route : et l’instant d’après il vit paraître un dragon de sa compagnie, courant avec une rapidité qui annonçait quelque affaire de grande importance. Son cheval était couvert d’écume et de sueur, et le cavalier lui-même ne paraissait pas moins fatigué. Sans prononcer un seul mot, le soldat lui remit une lettre et conduisit sa monture à l’écurie. Lawton reconnut l’écriture de Dunwoodie, et lut sur-le-champ ce qui suit :
« Je suis charmé d’avoir à vous apprendre que Washington vient d’ordonner que toute la famille Wharton soit envoyée au-delà des montagnes. Elle aura la liberté de communiquer avec le capitaine Wharton, qui n’attend que l’arrivée de ses parents pour être mis en jugement, parce qu’ils doivent être entendus. Vous leur ferez part de cet ordre, et je ne doute pas que vous n’y mettiez toute la délicatesse convenable.
« Dès que les Wharton seront partis, vous quitterez les Quatre-Coins pour venir rejoindre votre compagnie. Vous ne tarderez probablement pas à y avoir de l’occupation, car un nouveau détachement de troupes anglaises remonte l’Hudson, et l’on assure que sir Henry Clinton en a donné le commandement à un bon officier. Tous les rapports doivent se faire désormais à l’officier qui commande à Peek-Skill, le colonel Singleton ayant été chargé d’aller présider le conseil de guerre qui va juger le pauvre Henry Wharton. On a reçu de nouveaux ordres pour faire pendre Harvey Birch dès qu’on pourra s’en emparer, mais ils ne sont pas émanés du commandant en chef. Adieu ; faites escorter les dames par un petit détachement, et soyez en selle le plus tôt possible.
« Votre ami ,
« PEYTON DUNWOODIE. »
Cette lettre changea tous les arrangements qui avaient été pris. Il n’existait aucun motif pour transporter le corps d’Isabelle à un poste où son père ne se trouvait plus, et Singleton consentit, quoiqu’un peu à contre-cœur, qu’on lui rendît sur-le-champ les honneurs funèbres. On choisit un endroit retiré et agréable au pied des rochers, et l’on mit à ses obsèques autant de décence que les circonstances et la situation des choses le permettaient. Quelques habitants des environs, attirés soit par la curiosité, soit par l’intérêt qu’inspirait sa fin malheureuse, suivirent ses restes au lieu où l’on devait les déposer, et miss Peyton et Frances versèrent des larmes sincères sur sa tombe. Le service de l’église fut célébré par le même ministre qui, si peu de temps auparavant, avait rempli des devoirs si différents. Tandis qu’il prononçait les mots qui allaient faire descendre dans la tombe celle qui avait été si belle et si aimante, Lawton, appuyé sur son sabre, avait la tête baissée et passait une main sur ses yeux.
La nouvelle contenue en la lettre de Dunwoodie fut un nouveau stimulant pour tous les membres de la famille Wharton.
César et ses chevaux furent de nouveau mis en réquisition ; ce qui pouvait rester de mobilier fut confié aux soins d’un voisin digne de confiance, et M. Wharton partit avec miss Peyton, Frances et Sara, qui était toujours plongée dans le même délire. Sa voiture était escortée par quatre dragons, que suivaient tous les blessés américains. Le départ de l’aumônier et
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