L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
de la jeunesse, quoiqu’elle eût été bien embarrassée pour en donner une raison.
Elles étaient alors arrivées sur la cime de la montagne, et Frances s’assit pour se reposer et pour admirer le spectacle qui s’offrait à elle. À ses pieds était une profonde vallée à laquelle la culture avait apporté peu de changements, et qu’une soirée de novembre faisait paraître encore plus sombre. Une autre montagne s’élevait à peu de distance, et l’on ne voyait sur ses flancs raboteux que des rochers arides et quelques chênes rabougris auxquels le sol refusait la sève qui leur était nécessaire.
Pour les voir dans toute leur beauté, il faut traverser les montagnes immédiatement après la chute des feuilles. Le tableau qu’elles présentent est alors dans toute sa perfection, car ni le maigre feuillage que l’été prête aux arbres, ni les neiges de l’hiver ne cachent aux yeux le moindre objet. Une triste solitude forme le caractère du paysage, et l’esprit ne peut, comme en mars, prévoir la végétation qui va bientôt borner la vue sans rendre le coup d’œil plus attrayant.
La journée avait été froide et obscure. En ce moment des nuages blanchâtres couvraient encore l’horizon ; Frances espérait voir briller un moment le soleil couchant, mais elle fut trompée dans son attente. Enfin un rayon solitaire de lumière se refléta sur la base de la montagne voisine, monta le long de ses flancs, en atteignit le sommet, et y forma comme une couronne de gloire qui ne dura qu’une minute. La lumière était si vive qu’elle permit à Frances de voir distinctement les objets que l’obscurité lui cachait auparavant. Surprise d’obtenir d’une manière si inattendue la faculté de pénétrer pour ainsi dire les secrets de ce lieu solitaire, elle parcourut rapidement des yeux tous les environs, et elle aperçut au milieu des arbres épars et des pointes de rochers ce qui lui parut une chaumière grossièrement construite. Elle était fort basse et la couleur des matériaux dont elle était formée se mariait tellement à celle des rochers qui l’entouraient, que sans le toit et une fenêtre dont les carreaux réfléchissaient les rayons du soleil elle ne l’aurait pas découverte.
Tandis qu’elle était encore plongée dans la surprise que lui causait la vue d’une habitation humaine dans ce lieu désert, Frances en levant les yeux un peu plus haut, vit un autre objet qui ajouta encore à son étonnement. Ce semblait être une forme humaine, mais d’une forme singulière et d’une difformité extraordinaire. Cet être était placé sur le bord d’une saillie de rocher au-dessus de la chaumière, et il ne fut pas difficile à notre héroïne de s’imaginer qu’il regardait les voitures qui gravissaient péniblement la montagne sur laquelle elle était assise. Cependant la distance qui l’en séparait était trop considérable pour qu’elle pût en juger avec certitude. Après l’avoir examiné un instant avec la plus grande surprise, elle vint à croire que c’était un jeu de son imagination, et que ce qu’elle voyait faisait partie du rocher même. Mais tout à coup l’objet qui attirait ses regards changea de position, marcha rapidement et entra dans la chaumière, ne lui laissant ainsi aucun doute sur la réalité de tout ce qu’elle avait vu. Soit que ce fût l’effet de la conversation qu’elle venait d’avoir avec Katy, ou de quelque analogie que lui offrait son imagination, Frances, à l’instant où cette figure disparut à ses yeux, crut lui trouver une ressemblance marquée avec Harvey Birch marchant chargé de sa balle. Elle regardait encore avec surprise cette demeure mystérieuse quand le son d’une trompette retentit dans la vallée et fut répété par tous les échos des rochers. Se levant tout à coup avec quelque alarme, elle entendit un bruit de chevaux, et bientôt un détachement de cavalerie, portant l’uniforme bien connu des dragons de Virginie, tourna la pointe d’un rocher et se montra à peu de distance de l’endroit où elle était. La trompette sonna de nouveau un air vif, et avant qu’elle eût eu le temps de se remettre de son agitation, Dunwoodie courut en avant de ses dragons, sauta à bas de son cheval, et s’avança près de sa maîtresse.
Ses manières annonçaient de l’empressement et de l’intérêt, mais il s’y mêlait une sorte de contrainte et d’embarras. Il expliqua en peu de mots qu’attendu l’absence du
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