L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
pu sauver de l’incendie, continua sa route vers l’endroit où Henry était en prison et attendait l’arrivée de sa famille pour être mis en jugement.
Toute la contrée située entre l’Hudson et le détroit ou bras de mer de Long-Island n’est, pendant les quarante premiers milles, qu’une suite de montagnes et de vallées. De ce dernier côté, le sol s’abaisse et se nivelle peu à peu pour former les belles plaines du Connecticut ; mais sur les bords de l’Hudson, il conserve son caractère sauvage, jusqu’à ce qu’on arrive à cette formidable barrière de montagnes où se terminait ce qu’on appelait alors le Territoire Neutre. L’armée royale occupait les deux points qui commandaient l’entrée de la rivière dans ces montagnes du côté du sud, mais les Américains étaient maîtres de toutes les autres positions.
Nous avons déjà dit que les piquets de l’armée continentale descendaient quelquefois assez avant dans le pays, et que le hameau des Plaines-Blanches était de temps en temps occupé par des détachements de cavalerie. Dans d’autres occasions, ces avant-postes se retiraient jusqu’à l’extrémité septentrionale du comté, et tout le pays situé entre la mer et l’armée était entièrement abandonné aux ravages des maraudeurs, qui pillaient au nom des deux partis sans servir ni l’un ni l’autre.
La route que suivaient nos voyageurs n’était pas celle qui sert de communication entre les deux principales villes de cet état ; c’en était une retirée, peu fréquentée, et presque inconnue même, aujourd’hui, qui pénètre dans les montagnes vers les limites orientales du comté, et qui débouche ensuite dans la plaine à quelques milles de l’Hudson. Il aurait été impossible aux coursiers épuisés de M. Wharton de traîner sa lourde voiture sur les montagnes escarpées qu’ils avaient à traverser, et deux dragons qui continuaient à lui servir d’escorte lui procurèrent le secours de deux vigoureux chevaux du pays, sans trop s’inquiéter si le propriétaire y consentait ou non. Grâce à cette assistance, César se trouva en état d’avancer lentement et non sans peine jusque dans le sein des montagnes. Désirant soulager sa mélancolie en respirant un air plus frais, et pour alléger d’autant le poids de la voiture, Frances en descendit au pied d’une montagne, et vit que Katy en avait fait autant dans le pareil dessein d’en gagner le sommet à pied. Le soleil était sur le point de se coucher, et les dragons avaient annoncé que du haut de cette montagne on pouvait voir le but si désiré du voyage. Frances marchait en avant avec le pas léger de la jeunesse, la femme de charge suivant à quelques pas. Elles eurent bientôt perdu de vue la voiture qui gravissait lentement la montée, et qui s’arrêtait de temps en temps pour laisser aux animaux qui la traînaient le temps de respirer.
– Ô miss Fanny, dans quel temps nous vivons ! s’écria Katy quand elles s’arrêtèrent pour reprendre haleine ; mais j’étais bien sûre qu’il arriverait de grands malheurs depuis que j’ai vu des raies de sang dans les nuages.
– Il n’en a été que trop répandu sur la terre, répondit Frances en frémissant ; mais je ne crois pas qu’on puisse jamais en voir dans les nuages.
– Pas de sang dans les nuages, miss Frances ! Si vraiment ! il y en a eu, et plus d’une fois, et des comètes avec des queues de feu. D’ailleurs, n’y a-t-on pas vu des hommes armés qui se battaient l’année d’avant la guerre ? Et la veille de la bataille des Plaines-Blanches, n’a-t-on pas entendu des coups de tonnerre qui ressemblaient au bruit du canon ? Ah ! miss Frances, rien de bon ne peut résulter d’une révolte contre l’oint du Seigneur !
– Les événements dont nous sommes témoins sont certainement terribles, dit Frances, et ils suffisent bien pour abattre le cœur le plus ferme. Mais qu’y faire, Katy ? Des hommes braves et indépendants ne peuvent se soumettre à l’oppression, et je crois que de telles scènes ne sont que trop fréquentes dans une guerre.
– Encore si je pouvais savoir pour quelle raison on se bat ainsi ! dit Katy en se remettant en marche pour suivre sa jeune maîtresse : les uns disent que le roi veut garder le thé pour sa famille, les autres qu’il veut avoir tout ce que les pauvres gens peuvent gagner dans ce pays, et à coup sûr il y a bien là de quoi se battre, car personne, que ce
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