L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
à y trouver la mesure requise, mais il eut assez de conscience pour y ajouter gratuitement un ruban assorti aux couleurs brillantes du calicot, et César partit à la hâte pour aller annoncer cette bonne nouvelle à sa vieille Dina.
Pendant qu’on s’occupait de cette emplette, le capitaine Wharton s’était avancé entre les deux rideaux, de manière à se mettre tout à fait en vue et il demanda alors au colporteur qui commençait à refaire sa balle, quand il avait quitté New-York.
– Ce matin à la pointe du jour, répondit Birch.
– Il n’y a pas plus longtemps ! s’écria le capitaine avec un ton de surprise ; mais, se remettant sur ses gardes, il ajouta d’un air plus indifférent :
– Comment avez-vous pu passer les piquets ?
– Je les ai passés, répondit Harvey avec une froideur laconique.
– Vous devez maintenant être bien connu des officiers de l’armée anglaise, dit Sara.
– J’en connais quelques-uns de vue, répondit le colporteur ; et promenant les yeux autour de la salle, il les arrêta un moment d’abord sur le capitaine, et ensuite sur M. Harper.
M. Wharton avait écouté successivement avec attention tous ceux qui venaient de parler, et il avait si bien perdu toute affectation d’indifférence, qu’il avait brisé les fragments de la tasse de porcelaine qu’il avait si longtemps examinés pour voir si l’on pouvait la raccommoder. Voyant le colporteur serrer le dernier nœud de sa balle, il dit avec assez de vivacité :
– Allons-nous donc encore être inquiétés par les ennemis ?
– Qui appelez-vous les ennemis ? demanda Harvey Birch en se redressant et en jetant sur M. Wharton un coup d’œil qui lui fit baisser les yeux d’un air confus.
– Tous ceux qui troublent notre paix sont nos ennemis, dit miss Peyton, remarquant que son beau-frère était hors d’état de parler ; mais les troupes royales sont-elles sorties de leurs cantonnements ?
– Il est probable qu’elles en sortiront bientôt, répondit le colporteur en levant sa balle et en faisant ses préparatifs de départ.
– Et les Américains, continua miss Peyton avec douceur, sont-ils en campagne ?
L’arrivée de César et de sa vieille et fidèle compagne, dont les yeux pétillaient de joie, évita à Birch l’embarras d’une réponse.
César appartenait à une classe de nègres qui devient plus rare de jour en jour. On ne voit plus guère aujourd’hui de ces vieux serviteurs qui, nés ou du moins élevés dans la maison de leurs maîtres, identifiaient leurs intérêts avec ceux des individus que leur destin les obligeait à servir. Elle a fait place à cette race de vagabonds qu’on a vus s’élever depuis une trentaine d’années, et qui rôdent dans tout le pays, sans attachement pour personne et sans être retenus par aucuns principes ; car c’est un des fléaux de l’esclavage, que ceux qui en ont été les victimes deviennent incapables d’acquérir les qualités propres à l’homme libre. L’âge avait donné aux cheveux courts et crépus de César une teinte grisâtre qui ajoutait beaucoup à son air vénérable. L’usage du peigne, longtemps et souvent répété, avait redressé les cheveux de son front au point qu’ils se tenaient raides et droits sur sa tête, ce qui semblait ajouter au moins deux pouces à sa taille. Son teint d’un noir éclatant dans sa jeunesse, avait perdu tout son lustre et était devenu d’un brun foncé. Ses yeux, placés à une distance formidable l’un de l’autre, étaient petits, mais caractérisés par une expression de bonne humeur, qui n’était interrompue que par de courts accès de pétulance qu’on excusait dans un ancien serviteur ; mais en ce moment ils étaient animés par la joie la plus vive. Son nez ne manquait de rien de ce qui constitue le sens de l’odorat, mais il avait assez de modestie pour ne pas se mettre en avant, et ses larges narines n’incommodaient jamais ceux dont il approchait. Sa bouche fendue d’une oreille à l’autre n’était supportable qu’à cause des deux rangs de perle qui s’y trouvaient. Sa taille était petite, et nous aurions dit carrée, si les lignes courbes et anguleuses qu’on y remarquait n’eussent été un obstacle invincible à toute symétrie géométrique. Ses bras longs et nerveux se terminaient par deux mains, amaigries, qui offraient d’un côté un gris noirâtre, et de l’autre un rouge passé. Mais c’était dans ses jambes que la
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