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Le calice des esprits

Le calice des esprits

Titel: Le calice des esprits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul C. Doherty
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    PROLOGUE
     
     
     
    Toile lege, Toile lege.
    Prenez et lisez, prenez et lisez.
    Saint Augustin, Confessions , VIII
     
     
    — Bénissez-moi, mon père, parce
que j'ai péché. Il y a bien des années que...
    Je m'assis sur mes talons et
contemplai le visage cireux du cadavre étendu sur une civière basse devant moi.
Les moines allaient porter à l'église le père gardien, âgé d'au moins
quatre-vingt-cinq printemps, enveloppé dans son linceul. Il y reposerait
entouré de cierges pourpres, devant le chœur, endroit sacré où voltigent les
anges afin que les hordes de démons, qui rôdent en quête des âmes des défunts,
ne puissent entrer. Plus tard, ces mêmes frères de l'ordre mendiant des
franciscains, dont le couvent se niche à l'ombre de St Paul, chanteraient leur
messe de requiem et, ensuite, enterreraient le père gardien dans le cimetière
où, protégé par une croix délabrée, il attendrait la fin du monde et la résurrection
du Christ.
    J'ai dit que le père gardien avait
plus de quatre-vingt-cinq printemps ; je ne suis guère plus jeune. Voilà
des mois que je me préparais à lui faire entendre ma confession. Pour le reste
de la communauté je ne suis qu'une ermite dans sa cellule, une simple femme
dont le seul souci consiste à nettoyer les allées du jardin ou à frotter les
dalles de la cuisine. Pourtant le père gardien soupçonnait mon secret. Bien
souvent, quand ses compagnons étaient occupés, il se mettait à ma recherche, soit
dans le verger, soit dans le jardin encaissé où je désherbais les bords du
vivier. Il m'effleurait l'épaule ou tirait la manche de ma robe, puis
m'entraînait parfois sous une tonnelle ombragée, parfois dans un coin isolé.
Nous nous y installions alors pour évoquer le passé. Je ne lui avais jamais
révélé grand-chose, mais il n'ignorait pas qui j'étais. Il savait que j'avais
servi la reine mère, Isabelle de France. Que je l'avais accompagnée de l'époque
de sa descente aux enfers jusqu'à sa glorieuse remontée, qui n'avait conduit
qu'à sa nouvelle chute. Que je m'étais longtemps abritée à l'ombre de la Louve
et avais été une disciple de « cette Nouvelle Jézabel » (un subtil
jeu de mots sur son nom). Oh ! oui, tel un chevalier masqué, je m'étais
trouvée au cœur de cette sanglante et confuse mêlée en ces temps où les
puissants basculaient des échelles du gibet ou bien étaient contraints de se
tenir à genoux, comme Edmund de Kent, à la manière d'un chien enchaîné à la
grille, jusqu'à ce qu'un criminel ivre leur tranche la tête. Je faisais
confiance au père gardien. Je semais des allusions et racontais des fables,
évoquant parfois les grands seigneurs, tous appelés à présent devant le
tribunal de Dieu. Je détaillais mes rêves : dépouilles pourrissant sur les
échafauds, hommes encapuchonnés et munis de poignards se glissant dans les
cours au plus profond de la nuit, inquiétantes rencontres dans des pièces
obscures, bruit des armées, hennissement des destriers, grandes fêtes et
banquets où les vins de Bordeaux et d'Espagne coulaient à flots comme de l'eau
d'un tonneau brisé, confiseries, splendides tapisseries et chambres aux
exquises décorations, meurtre silencieux au pied léger sous toutes ses formes
hideuses, ma poursuite des fils et des filles de Caïn, ce vieil assassin.
    J'en ai vu, des choses, et le père
gardien le savait bien. Il m'arrivait, mais rarement, de parler d'Isabelle,
Isabelle à la peau éblouissante et aux ardents yeux bleus, à la chevelure
semblable à de l'or filé et au corps que même un moine aurait convoité.
Isabelle la Belle, qui avait détrôné son époux. Elle l'avait emprisonné au
château de Berkeley, tel un animal enragé, jusqu'à ce que — c'est ce
que narrent les chroniques — des assassins s'y faufilent et, le
jetant à plat ventre, lui enfoncent un tisonnier rougi dans les entrailles afin
que le cadavre ne porte aucune marque. J'évoquais Roger Mortimer, fier comme un
cerf portant ramure, roi de son propre chef, prince gallois qui rêvait en
secret du pouvoir ; Hughes le Despenser, avec ses cheveux et sa barbe
gris-brun, ses fulgurants yeux verts, ses doigts avides et son cœur
bouillonnant du désir de posséder Isabelle ; Édouard lui-même, le roi aux
cheveux d'or, aux yeux bleus, robuste de corps et faible d'esprit, avec sa
suite vêtue de soie ou de satin, chaussée de bottes pointues à hauts talons,
ces puissants qui avaient connu leur

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