L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
s’étendant vers le sud en ligne droite, aussi loin que la vue pouvait atteindre. Au nord, les montagnes montraient leurs têtes élevées par-dessus les masses de brouillard suspendues sur le fleuve, et qui en faisaient reconnaître le cours au milieu des rochers, dont les sommets, de forme conique, se groupaient les uns derrière les autres dans un désordre qu’on aurait pu supposer être la suite de leurs efforts infructueux pour arrêter dans leur course ces eaux majestueuses et puissantes. Sortant de ce labyrinthe de montagnes, le fleuve, comme se livrant à la joie d’être sorti vainqueur de cette lutte, formait une grande baie, ornée par quelques pointes de terre basse et fertile qui s’avançaient humblement dans son vaste bassin. Sur la rive opposée, c’est-à-dire du côté de l’ouest, les rochers de Jersey se montraient, formant cette barrière qui leur a fait donner le nom de palissades, et s’élevant à plusieurs centaines de pieds comme pour protéger contre une invasion le riche pays situé derrière eux. Mais méprisant un tel ennemi, le fleuve roulait fièrement ses eaux à leur pied, et continuait sa marche vers l’Océan. Un rayon du soleil levant frappa le brouillard suspendu sur les eaux tranquilles de l’Hudson, et à l’instant toute la scène parut en mouvement, changeant de forme, et offrant à la vue des images sans cesse renouvelées. À l’époque où nous écrivons, lorsque le matin lève ce grand rideau de la nature, on voit flotter sur le fleuve des vingtaines de navires, ornés de leurs voiles blanches, avec cet air de vie qui annonce le voisinage de la métropole d’un grand et florissant empire ; mais il n’offrait alors aux yeux de Henry et du colporteur que les vergues carrées et les mâts élevés d’un vaisseau de guerre qui était à l’ancre à quelques milles de distance. Avant que le brouillard se fût dissipé, on n’apercevait que les mâts, et l’un d’eux soutenait un pavillon, agité par le vent de la nuit ; mais à mesure qu’il commença à s’élever, on vit paraître successivement le corps noir du navire, la masse compliquée de ses agrès, ses vergues et ses arcs-boutants, qui semblaient de longs bras étendus.
– Capitaine, Wharton, dit Harvey, voilà un lieu de sûreté pour vous. L’Amérique ne saurait vous atteindre si vous êtes une fois sur le tillac de ce bâtiment. On l’a envoyé pour couvrir les fourrageurs et soutenir le détachement que nous avons vu ; car les troupes régulières aiment assez à entendre le bruit du canon de leurs vaisseaux.
Henry ne daigna pas répondre au sarcasme que couvraient ces paroles, et peut-être même n’y fit-il pas attention, mais il accepta avec joie cette proposition, et il fut convenu, que dès qu’ils se seraient reposés ils tâcheraient de se rendre à bord de ce navire.
Ils commencèrent alors l’opération indispensable de déjeuner, et tandis qu’ils s’en occupaient sérieusement, ils entendirent plusieurs décharges de mousqueterie dans l’éloignement, d’abord quelques coups de fusil isolés, puis un feu roulant et presque continuel.
– Votre prophétie se vérifie, dit Henry en se levant avec vivacité, nos troupes sont aux mains avec les rebelles. Je donnerais six mois de ma paie pour assister à cette charge.
– Ma foi ! dit son compagnon sans en perdre un coup de dent, cela vaut mieux à voir de loin que de près, et je puis dire que la compagnie de ce morceau de lard, tout froid qu’il est, est plus à mon goût en ce moment que le feu le plus chaud des troupes continentales.
– Le feu est bien vif pour des forces si peu nombreuses, mais il semble irrégulier.
– Ces décharges irrégulières viennent de la milice du Connecticut, dit Harvey en levant la tête pour mieux écouter. Ces miliciens sont bons tireurs, et ils savent envoyer leur balle à son but. Les volées sont tirées par les troupes royales, qui, comme vous le savez, font feu au commandement aussi longtemps qu’elles le peuvent.
– Je n’aime pas ce que vous appelez ces décharges irrégulières, reprit Henry en se promenant avec un air de malaise ; elles se succèdent comme les coups frappés sur un tambour, et ne ressemblent nullement à un feu d’escarmouche.
– Non, non, je n’ai pas parlé d’escarmoucheurs, dit le colporteur en se levant sur ses genoux et en cessant de manger ; tant qu’ils tiendront bon, ces miliciens valent mieux que les meilleures troupes de
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